À Hyères, entre la mer et les ruines antiques d’Olbia, l’ancien site de l’abbaye Saint-Pierre-de-l’Almanarre recèle un secret transmis à voix basse depuis des siècles. Une histoire tragique, peut-être embellie, mais profondément enracinée dans la mémoire locale : celle des « sœurs sans nez ».
Une abbaye entre ciel, mer… et péril
Installée au XIIIᵉ siècle sur les terres antiques de l’Almanarre, l’abbaye Saint-Pierre était un monastère cistercien de femmes, implanté face à la mer. Un lieu de prière et de silence, bientôt rattrapé par l’Histoire. Car au fil du Moyen Âge, le littoral varois est la proie régulière des raids barbaresques. Pirates, pillards, « Sarrasins » comme on les appelait alors, frappaient vite, fort, et souvent sans prévenir.
Une légende gravée dans la douleur
C’est dans ce contexte d’insécurité chronique qu’est née une des légendes les plus poignantes de Provence. On raconte que, voyant approcher une nouvelle expédition ennemie, les religieuses de l’Almanarre, plutôt que de tomber entre les mains de leurs agresseurs, se seraient tranché le nez, afin de se rendre repoussantes aux yeux des assaillants. Un acte de mutilation volontaire, de désespoir aussi, pour préserver leur chasteté… et leur foi.
Certains récits ajoutent qu’elles sonnèrent la cloche pour alerter la ville, mais ne furent pas secourues : la population, trompée par de fausses alertes passées, aurait ignoré l’appel. Un silence lourd de conséquences.
Un mythe inspiré d’autres récits européens ?
Ce geste extrême n’est pas sans écho dans d’autres traditions chrétiennes. À Marseille, à Vienne, ou même jusqu’en Écosse, plusieurs récits médiévaux rapportent des histoires similaires de moniales se défigurant pour éviter les outrages. Un thème récurrent dans l’imaginaire hagiographique, souvent utilisé pour exalter le courage et le sacrifice des femmes consacrées à Dieu.
Mais aucune source historique directe ne confirme ce drame à l’Almanarre. L’épisode est surtout rapporté par des récits du XIXᵉ siècle, époque friande de romantisme religieux et de légendes édifiantes.
Entre silence des archives et murmure des pierres
Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques pierres de l’abbaye, à peine visibles près du site archéologique d’Olbia. Le monastère, abandonné au XIVᵉ siècle, fut remplacé par une communauté repliée intra-muros, à Hyères même, plus protégée.
Mais la légende, elle, continue de hanter les lieux, portée par les vents du littoral et les récits d’anciens. Elle nous rappelle combien les récits de foi, d’héroïsme et de sacrifice peuvent survivre, même quand les preuves disparaissent.
🗂️ Sources principales
Wikipedia – Abbaye Saint-Pierre de l’Almanarre
“Les monastères cisterciens de femmes en Provence”, CTHS – Lire
Ville de Hyères, Livret de dĂ©couverte de l’Almanarre – PDF
Alphonse Denis, Souvenirs et légendes du Var, Gallica – Texte intégral
Article Clio – Mutilations volontaires et martyres féminins – Lien
Archéologie du Midi Médiéval, 2004 – étude sur les fouilles de l’Almanarre – Lire