Elle partage aujourd’hui sa vie entre New York, Vienne, Paris et le sud de la France. Mais c’est dans les silences de son enfance qu’Eva Adler a puisé la force de remonter le fil de son histoire familiale. Une quête de mémoire pour comprendre le destin hors norme de son père, Kurt Adler, chef de chœur emblématique du Metropolitan Opera de New York, mais surtout survivant d’un siècle tourmenté.

Née aux États-Unis dans les années 70, Eva Adler grandit dans une famille marquée par l’exil, mais où l’histoire reste tue, comme figée dans les non-dits. Très tôt, la disparition de son père, Kurt Adler, la laisse face à une promesse : celle de reconstituer le puzzle d’une vie éclatée par la guerre.
Kurt Adler, né en Bohême — dans l’ancien Empire austro-hongrois, aujourd’hui République tchèque — fuit l’Europe pour échapper à la barbarie nazie. Juif, musicien érudit, polyglotte, il quitte un continent en flammes avec pour seul visa le sien. « Sur son passage, tout a été bombardé : Vienne, Berlin, Stalingrad… jusqu’au navire qui l’emmenait loin de l’Europe », raconte Eva Adler. Mais l’espoir de faire venir sa famille aux États-Unis s’effondre : « À son arrivée, on lui avait dit que ce serait plus facile de faire venir les siens. Mais les quotas étaient déjà pleins. Et la guerre a éclaté. » Restés en Europe : ses parents, sa femme enceinte.
Installé aux États-Unis, Kurt Adler trouve refuge dans la musique. Dès 1943, il rejoint le prestigieux Metropolitan Opera, où il devient l’un des piliers, chef de chœur pendant plusieurs décennies. La musique, comme une arme contre l’oubli, comme une planche de salut dans un monde où l’Histoire semble s’acharner.
Mais les tragédies s’enchaînent. À la fin du conflit mondial, alors que les survivants cherchent à se retrouver, une nouvelle fracture géopolitique divise le monde. Le rideau de fer s’abat sur l’Europe. La guerre froide commence. Kurt Adler sait que sa femme et sa fille sont quelque part, de l’autre côté. Mais l’Histoire, cruelle, referme une nouvelle fois ses portes. « Il n’aura jamais été tranquille, confie Eva Adler. Avec une fille en URSS, il pouvait passer pour un espion aux yeux du maccarthysme. Mais je crois que c’est la musique qui l’a protégé. »
Ce n’est qu’au bout de dix-huit années d’attente, grâce à un laisser-passer obtenu par son statut de musicien, que Kurt Adler parvient enfin à franchir le mur de Berlin et à rencontrer pour la première fois sa fille restée de l’autre côté.
Au fil des années, Eva Adler a mené ses propres recherches, fouillant les archives, déchiffrant les fragments d’un passé éclaté. Dans les papiers de son père, elle découvre un formulaire rempli à son arrivée aux États-Unis. À la question : « De quoi êtes-vous le plus fier ? », Kurt Adler répondait : « D’avoir fui Hitler »… et « d’avoir créé la première philharmonique de Stalingrad ». Deux lignes qui résument toute la résilience d’un homme que la musique n’a cessé d’accompagner.
« Je crois que la musique l’a sauvé de bien des manières », conclut Eva Adler. Une transmission silencieuse, mais vibrante, comme une portée qui relie les générations, au-delà des blessures de l’Histoire.
Eva Adler donnera une conférence à Chalucet Toulon le 3 mai prochain à 16h.
Quatre-vingt membres de sa famille tués dans les camps.

Pour Eva Adler, mettre des mots sur les blessures du passé est une nécessité. Face aux non-dits familiaux, elle a choisi de chercher, de comprendre, quitte à se perdre parfois dans les méandres de son histoire. Une quête douloureuse mais essentielle, qui l’a menée au cœur de la mémoire de la Shoah.
« Je n’ai pas de siècle à moi, pas de date de naissance, ni d’adresse fixe. Je vis où mes ancêtres m’entraînent. » Ces quelques mots résument la trajectoire singulière d’Eva Adler, née aux États-Unis dans les années 70, mais héritière d’une histoire brisée par la Seconde Guerre mondiale. Quatre-vingt membres de sa famille, victimes de la barbarie nazie, ont disparu dans les camps de concentration et d’extermination. Une tragédie longtemps murée dans le silence familial.
En 2016, Eva décide d’écrire à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Elle y dépose les noms de ses grands-parents, espérant peut-être combler les vides de son arbre généalogique. La réponse est brutale, sans appel. « Il y avait leur nom, et un trait au stylo à côté. Les nazis avaient coché leur montée dans les trains. Ils ont été envoyés à Belzec, un camp d’extermination. » Là, elle découvre l’horreur dans les détails administratifs : les documents répertoriant les derniers bijoux et effets personnels de ses proches avant leur déportation, les témoignages glaçants des survivants. « Les femmes étaient tondues avant d’entrer dans les chambres à gaz avec les enfants. L’un d’eux hurlait qu’il avait pourtant été sage… »
De cette branche familiale, seul Tomas, un jeune homme de 18 ans, a survécu. Une nuit, il s’est enfui à travers la forêt, suppliant ses parents de laisser partir avec lui son petit frère Martin, âgé de 14 ans. Mais le risque semblait trop grand pour un enfant si jeune. Trois ans plus tard, Martin disparaissait dans les camps avec leurs parents.
Face à cette violence, Eva Adler refuse l’oubli. Mais ce travail de mémoire a un prix. « Je fais une psychothérapie depuis 25 ans, mais c’est le prix à payer pour lever le voile. Il faut témoigner, surtout aujourd’hui, où l’antisémitisme réapparaît avec force. »
Parce que les mots peuvent combattre le malheur, parce que parler est un acte de résistance, Eva Adler poursuit sa quête, avec courage, détermination et humilité. Pour que les visages de ceux qui n’ont pas eu la chance de survivre ne s’effacent jamais.
Les retrouvailles empêchées par l’Histoire :

Elles avaient réussi l’impossible. Après des décennies de séparation, Eva Adler et sa demi-sœur Ingrid se sont enfin retrouvées en 2012. Une rencontre rendue possible grâce à une enquête menée par la Croix-Rouge internationale. Mais le bonheur de ces retrouvailles a vite laissé place à l’amertume d’un nouvel éloignement, dicté une fois encore par les soubresauts de l’Histoire.
Elles ont une trentaine d’années d’écart. Deux vies marquées par des frontières politiques, des murs, des guerres. Deux sœurs réunies trop tard, séparées trop longtemps par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale et du rideau de fer. En 2012, après des années de recherches, la Croix-Rouge parvient à réunir Eva Adler et Ingrid, sa demi-sœur restée de l’autre côté du monde. Une victoire sur le silence, sur l’oubli, sur les cicatrices de l’histoire familiale.
Mais ce bonheur retrouvé reste fragile. Très vite, la réalité géopolitique vient à nouveau s’interposer. « Je suis Américaine et écrivaine, confie Eva Adler. Je peux retourner en Russie, mais je crains de ne pas pouvoir quitter le territoire une fois sur place. » Depuis le début de la guerre en Ukraine, cette inquiétude s’est encore renforcée. « Ingrid est là-bas… Nous préférons jouer la prudence. Décidément, l’Histoire se répète. »
Entre les sœurs, les retrouvailles restent inachevées, suspendues à une situation politique incertaine. Le poids des décennies passées, le mur invisible d’une guerre moderne, toujours là pour séparer, empêcher, retarder l’espoir d’un avenir commun.
Dans ce nouveau chapitre, comme dans les précédents, Eva Adler choisit de témoigner. Parce que dire, c’est résister. Parce que parler, c’est continuer à lutter contre l’effacement, contre la fatalité, contre la répétition des drames.