La particularité d’une photographie, c’est qu’elle fige un instant pour l’éternité — qu’importe si la main qui a pressé le déclencheur finit par s’effacer avec le temps. Cette fragilité du photographe face à son œuvre, Marie-Diane Tassy l’a ressentie très tôt.
Le goût des vies oubliées
« Lorsque j’ai commencé à découvrir la photographie, je m’y suis plongée totalement. J’allais même faire les brocantes à la recherche d’anciens négatifs. Pour trois francs six sous, on me confiait des instants de vie oubliés. » Chaque sortie devenait une chasse aux trésors. Chez elle, elle aménage un laboratoire pour développer les pellicules. « J’y passais tout mon temps libre, animée par cette quête de l’inconnu. »
Parmi les souvenirs de famille glanés au hasard, elle découvre parfois des merveilles. « Un jour, je suis tombée sur les clichés d’un ancien correspondant de presse niçois. Il avait photographié Winston Churchill en promenade sur la Côte d’Azur. Une autre fois, j’ai trouvé les archives d’un soldat envoyé au cœur de la guerre des tranchées. »
Les négatifs révèlent les visages figés par la peur ou le froid, la violence de la guerre, les morts oubliés. Mais ce sont d’autres images qui la marquent davantage : un lot de 1 800 négatifs, retraçant la vie d’un haut fonctionnaire de l’armée. L’homme y immortalise sa famille avec une esthétique de photographe d’art, mais aussi les décombres de Marseille après les bombardements. Un lien se tisse entre Marie-Diane et ces anonymes du passé — poétique, inexplicable.

Une vie au service de l’image publique
Marie-Diane est connue comme le loup blanc. Pendant quarante ans, elle a été la photographe de la mairie de Six-Fours. Dans son ordinateur, des milliers d’images patientent encore. Elle a tout vu, tout suivi : les visages, les saisons, les événements.
Fille de photographe, elle tombe véritablement amoureuse du métier en décrochant un stage dans un magasin photo de la place de la Liberté, à Toulon. Elle entame alors une formation professionnelle et découvre la photographie industrielle : « Il fallait sublimer le produit avec très peu de moyens. Une fois, j’ai mis une montre sous l’eau et superposé deux pellicules pour un rendu étonnant. Il fallait de l’imagination… et de la précision. »
Dans les années 1980, elle entre à la mairie. On lui confie les reportages officiels aux côtés du maire de l’époque, Philippe Estève. « C’était de l’argentique, en noir et blanc. Et il ne fallait pas entrer dans le bureau sans prévenir ! Pour retoucher les photos, on utilisait un pinceau trempé dans de l’encre de Chine, qu’on humidifiait sur la langue. J’avais la bouche noire à la fin de la journée. »

L’œil qui saisit l’essentiel
Timide au départ, elle apprend vite à s’effacer derrière l’appareil. « Se placer devant une foule peut impressionner. Mais très vite, je ne voyais plus que mon sujet. J’essayais toujours de capter une touche de poésie dans l’ordinaire. »
Même si les appareils évoluent, Marie-Diane reste fidèle au noir et blanc, au grain de l’argentique. « La couleur distrait. Elle fait passer à côté de l’essentiel. »
Photographe du monde, toujours en quête
Sur son temps libre, elle voyage. Toujours avec son appareil. En 1990, juste après la chute du régime de Ceaușescu, elle photographie la Roumanie encore sous tension. Au Burkina Faso, elle sent l’instabilité du pays, mais ne résiste pas à sa force. À New York, elle se glisse dans une manifestation de vétérans du Vietnam. « Quand j’ai mon appareil dans les mains, les gens le sentent. Même là-bas, un policier m’a laissé passer sous le cordon de sécurité. Mon amie, elle, est restée de l’autre côté. »

Et maintenant ?
Marie-Diane est désormais à la retraite. Mais l’appareil n’est jamais loin. « Je ne sais pas ce que je ferai demain. Mais je sais que j’aurai mon appareil avec moi. »