C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès soudain de Christiane Giordano, doyenne du conseil municipal de Six-Fours et présidente de l’Amicale des rapatriés. Figure incontournable de la vie publique et associative, elle a marqué par son énergie, son engagement et son humanité. Nous adressons à sa famille, à ses proches et à ses amis nos plus sincères condoléances et notre hommage respectueux.
Au-delà de son action politique et associative, Christiane Giordano avait à cœur de transmettre la mémoire des rapatriés d’Afrique du Nord, de porter leur histoire et leurs blessures au sein de la commune. C’est dans ce cadre que nous avons eu l’honneur d’écrire notre dernier article en sa compagnie, à l’occasion de la commémoration du massacre de la rue d’Isly.
Rue d’Isly : un devoir de mémoire
Le 26 mars 1962, huit jours après les accords d’Évian, l’armée française ouvre le feu rue d’Isly à Alger sur une foule de manifestants favorables à l’Algérie française. En quinze minutes, le drame fait 46 morts et près de 200 blessés. Un épisode tragique de la guerre d’Algérie dont les causes demeurent floues, mais qui reste, pour beaucoup, l’un des symboles les plus marquants de la censure et du silence entourant cette période.
À l’occasion du 63ᵉ anniversaire, la municipalité avait invité les rapatriés à se rassembler devant le monument aux morts. Une stèle en hommage aux combattants et aux victimes civiles avait été dévoilée, dans une atmosphère chargée d’émotion. Ce jour-là, Christiane Giordano avait reçu la médaille de la Ville pour ses nombreuses actions, ainsi qu’une aquarelle représentant Bab El-Oued, quartier de son enfance.
Les interviews du passée :
« J’avais 25 ans et j’étais dans la foule »
Jacqueline avait 25 ans et deux enfants en bas âge à la maison. Après que les forces de l’ordre ont imposé un blocus dans le quartier de Bab El-Oued, elle décide de rejoindre la foule pour manifester.
« MON MARI N’AIMAIT PAS CE GENRE DE CHOSE, MAIS MOI JE VOULAIS FAIRE ENTENDRE MA VOIX. DEVANT MOI, J’AI VU LES PREMIERS CORPS TOMBER ET J’AI ENTENDU LES BALLES. J’AI OUVERT LA PREMIÈRE PORTE QUE J’AI TROUVÉE, C’ÉTAIT UN IMMEUBLE. JE SUIS MONTÉE AU CINQUIÈME ÉTAGE ET J’AI ATTENDU PLUSIEURS HEURES QU’IL N’Y AIT PLUS DE BRUIT. »
Le souvenir reste intact, tout comme les émotions. Elle conclut :
« CE SONT LES TROUPES FRANÇAISESQUI ONT FAIT LE COUP. DES FRANÇAIS ONT TIRÉ SUR DES FRANÇAIS. J’AVAIS MES ENFANTS À LA MAISON. JE N’OUBLIERAI JAMAIS CE QUE J’AI RESSENTI CE JOUR-LÀ. »
« Mon père a pris une balle perdue dans notre salon »
Joseph Lopez, le père de Gérard, est mort dans son salon, atteint d’une balle perdue, dix jours avant la fusillade de la rue d’Isly. Bien qu’il ne soit pas décédé le 26 mars, il est inscrit sur les listes officielles des victimes de cette tragédie, car il habitait le quartier de Bab El-Oued, dont le blocus avait déclenché la manifestation.
Quelques jours auparavant, sept appelés du contingent avaient été tués par des éléments de l’OAS — une organisation terroriste clandestine française d’extrême droite — à la suite d’un accrochage. En réaction, les forces de l’ordre avaient instauré des fouilles violentes et un blocus du quartier.
Gérard se souvient :
« D’UN COUP, IL Y A EU DES TIRS SUR LES IMMEUBLES, LES BALLES SIFFLAIENT. MOI, J’ÉTAIS UN ENFANT RECROQUEVILLÉSUR LA TERRASSE, ET MON PÈRE, DANS LE SALON, ESSAYAIT DE ME TROUVER. IL A ÉTÉ TOUCHÉ À L’ARTÈRE FÉMORALE ET S’EST VIDÉ DE SON SANG AVANT D’ARRIVER À L’HÔPITAL. LE RESTE DE LA NUIT, JE L’AI PASSÉE DANS LES TOILETTES AVEC LE RESTE DE LA FAMILLE. C’ÉTAIT LA SEULE PIÈCE DE LA MAISON SANS MUR DONNANT SUR L’EXTÉRIEUR. »
Aujourd’hui, Gérard dit être en paix. Il n’est jamais retourné en Algérie après le drame et a épousé une métropolitaine. Chaque année, il commémore la date pour ne jamais oublier.
« L’HISTOIRE SE REFERME SUR NOUS. LES PIEDS-NOIRS DISPARAISSENT. MAIS AVEC MON FRÈRE, TANT QU’ON SERA EN VIE, ON VIENDRA COMMÉMORER CE QU’IL S’EST PASSÉ. ON CRITIQUE AUJOURD’HUI ISRAËL QUI TIRE SUR DES CIVILS À GAZA, OU LES RUSSES EN UKRAINE. **À L’ÉPOQUE, LA FRANCE N’A PAS FAIT MIEUX. »
Avant la fin de la cérémonie, Gérard a tenu à lire un à un les noms des morts ce jour-là : Français et Algériens.
NB : Toutes les photos sauf la plaque dévoilée ce 26 mars 2025 ont été prises au même événement l’année passée.
Ce jeudi 2 octobre 2025 se tiendront les obsèques de Mme Christiane GIORDANO, Conseillère Municipale, Présidente de l’Amicale Six-Fournaise des Rapatriés. A cette occasion, un hommage solennel lui sera rendu par Monsieur le Maire à 10h devant le Monument aux Morts.