Ce dimanche matin, sous la clarté dorée de l’automne, le domaine du Plan de la Mer a retrouvé un geste qu’il n’avait pas connu depuis près de quarante ans : planter des tulipes. Dix mille bulbes ont été mis en terre, alignés à la main, comme un clin d’œil aux paysages d’autrefois. Robert Priolio, le regard posé sur les rangs fraîchement tirés, semble retrouver une part de son histoire.
« À une époque, la tulipe poussait ici à perte de vue. Mais elle demandait du travail au moment où nos œillets explosaient, » raconte-t-il. Car la famille Priolio n’était pas seulement reconnue : elle faisait autorité dans l’œillet. Les professionnels de Nice, Marseille ou La Ciotat se déplaçaient au domaine pour espérer obtenir une place sur la fameuse liste d’attente. Robert se souvient même du jour où un désistement avait bouleversé une jeune fleuriste : « Quand elle a appris qu’elle aurait enfin ses bouquets, elle a pleuré. On était vraiment à la pointe. »
Quand les champs parlaient en couleurs
Enfant, Robert a grandi au milieu de ces camaïeux flamboyants. Sur les photos d’époque, on le voit marcher parmi les rangs de tulipes, entouré de rouges, de jaunes, de blancs éclatants. « Le nez finit par s’habituer, on ne sent plus rien», confie-t-il en riant.
Sur certains clichés, on distingue aussi les longues pailles que l’on étalait chaque soir pour protéger les fleurs du gel. « On les posait à la nuit tombée, et à l’aube il fallait tout retirer avant que le soleil ne chauffe. C’était notre couverture hivernale. »

Une histoire locale qui a failli disparaître
Dans les années 1970-1980, la tulipe faisait partie du paysage varois autant que le vent et les serres plastiques. Le bassin hyérois était alors l’un des centres les plus dynamiques de la fleur coupée en France, une terre où les couleurs semblaient pousser aussi facilement que les herbes folles. Les champs bruissaient de rouge, de jaune et de blanc ; chaque matin, les camionnettes partaient vers les marchés de Marseille, Toulon ou Nice, chargées de bottes fraîchement arrachées.
Puis la mondialisation a bouleversé cette économie fragile. « Quand les Hollandais sont arrivés pour profiter du soleil du Var, ils plantaient des bulbes plus petits, mais en quantité gigantesque », raconte Robert. Production standardisée, prix tirés vers le bas, concurrence étrangère : en quelques années, tout un pan du savoir-faire local s’est effrité.
« Beaucoup ont perdu ce qui faisait leur identité, poursuit-il. Sans spécificité, ils n’ont pas tenu. La tulipe a disparu du paysage presque du jour au lendemain. Aujourd’hui, pour retrouver une plantation, il faut aller du côté de La Crau. »
Ce retour au Plan de la Mer n’est donc pas anodin : il marque la réapparition d’un morceau de patrimoine horticole que l’on croyait perdu.

Un renouveau qui prend racine
Les 10 000 bulbes viennent de sortir de la chambre chaude, où débute l’induction florale. « Quand la vie commence à l’intérieur, c’est le bon moment pour planter », explique Robert. D’ici quelques jours, les premières pousses devraient percer la terre. Puis, en plein hiver, les tulipes du Plan de la Mer feront leur retour sur le marché floral de Hyères. Une partie sera vendue directement au domaine, au milieu des légumes et des produits de saison.

Karina, la mère, voit dans cette renaissance plus qu’un simple essai. « La fleur manquait aux champs. Les gens venaient chercher leur bouquet du matin, qui tenait deux semaines sans passer par les frigos ni les camions. C’était vivant, vrai.Peut-être que les gens ont envie de retrouver ça. »
La transmission continue
C’est Gabrielle, douzième génération, qui pilote cette plantation. Pour elle, renouer avec la tulipe est aussi un geste agronomique réfléchi. « La tulipe fait du bien au sol. Elle l’aère, elle l’allège, et après son cycle, la terre est plus riche. Les tomates qui pousseront là s’en régaleront. »
Dans quelques semaines, quatre variétés s’élèveront : blanches, fuchsia, pêche et rose poudré. Le pari est lancé : ces tulipes qui ont façonné l’histoire du domaine sauront-elles encore séduire les amoureux des fleurs d’aujourd’hui ?
Au 475 chemin du plan de la mer. Ouvert tous les lundis, mercredis et vendredis de 8h30 à 12h30.














