« Il y a eu des choses agréables et d’autres beaucoup moins. Mais dans l’ensemble, c’était bien. » En quelques mots, Sylviane Boulet résume un siècle entier. Cent années ponctuées de bonheurs, de pertes, de guerres et de nouveaux départs. Cent ans à voir le monde se transformer, à apprendre, à transmettre. Aujourd’hui, cinq générations la suivent : 4 enfants, 10 petits-enfants, 10 arrière-petits-enfants et déjà 5 arrière-arrière-petits-enfants. Pour célébrer cet anniversaire exceptionnel, une quarantaine de proches ont traversé la France afin de rendre hommage à celle qui tient la famille rassemblée.
Sa fille, Chantale, sourit en évoquant sa mère : « Elle a toujours fait attention à chacun de nous, sans jamais privilégier l’un ou l’autre. Au début, on voulait simplement organiser une fête entre enfants… mais tout le monde a voulu venir. Et elle a même reçu une trentaine de lettres. »
En les parcourant, Sylviane cherche parfois un repère, un visage à replacer. Elle le dit avec tendresse : « Il y a des choses qui m’échappent. Les souvenirs s’effacent, mais pas complètement. Ils restent là, quelque part… comme un rêve dont on essaie de se souvenir. »
Des tranchées paternelles à la Seconde Guerre mondiale, puis l’exil, la France et Six-Fours.
Elle revoit son père, ancien combattant de 14-18, revenu des tranchées avec les poumons atteints. Le tabac n’avait rien arrangé, et il est parti alors qu’elle n’avait que 16 ans. Sa mère, déterminée, avait alors pris en charge toute la famille grâce à divers petits travaux : les yaourts qu’elle vendait au marché, son travail de brodeuse, et ces épaulettes qu’elle confectionnait pour les uniformes durant la Seconde Guerre mondiale.
Et puis, il y a René, son mari. D’abord cheminot, il avait ensuite été mobilisé pendant la guerre. Malgré les épreuves, il avait gardé en famille une capacité rare à rire, même dans les moments difficiles.
Née au Maroc, Sylviane se souvient aussi de ces voisins marocains venus les avertir du danger. Ils encourageaient René à demander une mutation en France pour mettre sa famille à l’abri. Mais elle refusait de le laisser partir sans elle. Cela n’empêchera pas le départ quelques mois plus tard : un bateau, un enfant de six mois dans les bras, et la France comme refuge.
L’arrivée en Haute-Savoie fut un choc : un froid mordant, auquel elle n’était pas préparée. Elle tricotait pour habiller ses enfants, mais manquait de vêtements adaptés pour elle. Ses enfants étaient au chaud ; elle, moins. Ses pieds gèlent, et elle finit par perdre ses ongles.
Dans les années 70, la famille rejoint Six-Fours, où René est muté. Il y décède en 1993. Une nouvelle fois, il a fallu continuer.
Chantale raconte encore : « Elle a vécu seule jusqu’à ses 99 ans. Elle est tombée en novembre dernier, et depuis septembre elle est à la Rose de Noël. Les souvenirs s’effacent, mais elle reste en forme… et toujours élégante. »
Ce matin-là, sa fille lui avait préparé un pull rouge et des chaussons confortables pour l’entretien. Mais Sylviane avait aussitôt fouillé son armoire pour choisir un pull beige, qu’elle trouvait mieux assorti à ses petites chaussures dorées. Avant de conclure, malicieusement : « Je crois que le secret de la longévité, c’est de ne pas manger de gras… et de prendre soin de soi. »













