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dimanche 1 juin 2025

Commémoration du massacre de la rue d’Isly à Alger, une stèle dévoilée

Le 26 mars 1962, soit huit jours après les accords d’Évian, les troupes françaises ouvrent le feu pendant une quinzaine de minutes sur des manifestants favorables à l’Algérie française, rue d’Isly à Alger. Le bilan est lourd : 46 morts le jour même et environ 200 blessés. Le déclencheur de ce massacre n’a jamais été clairement établi. Pour de nombreux historiens, cet événement demeure l’un des épisodes les plus marquants de la censure pratiquée durant la guerre d’Algérie.

À l’occasion du 63e anniversaire de ce drame, la municipalité a invité les rapatriés d’Afrique du Nord à se rassembler devant le monument aux morts pour se recueillir. Lors de la cérémonie, une stèle en hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ainsi qu’aux victimes civiles a été dévoilée, suscitant une vive émotion.

Christiane Giordano, présidente de l’association Les Rapatriés d’Afrique du Nord, a reçu la médaille de la ville pour ses nombreuses actions en faveur de cette communauté. Une aquarelle représentant Bab El-Oued, quartier populaire d’Alger, lui a également été offerte des mains de Jean-Sébastien Vialatte, premier magistrat, ainsi qu’à Gérard Lopez, dont le père est mort dans son salon dix jours avant la fusillade, victime d’une balle perdue.

Les témoignages qui suivent ont été récoltés l’année passée pour le même événement. Idem pour les photographies.


« J’avais 25 ans et j’étais dans la foule »

Jacqueline avait 25 ans et deux enfants en bas âge à la maison. Après que les forces de l’ordre ont imposé un blocus dans le quartier de Bab El-Oued, elle décide de rejoindre la foule pour manifester.

« Mon mari n’aimait pas ce genre de chose, mais moi je voulais faire entendre ma voix. Devant moi, j’ai vu les premiers corps tomber et j’ai entendu les balles. J’ai ouvert la première porte que j’ai trouvée, c’était un immeuble. Je suis montée au cinquième étage et j’ai attendu plusieurs heures qu’il n’y ait plus de bruit. »

Le souvenir reste intact, tout comme les émotions. Elle conclut :

« Ce sont les troupes françaises qui ont fait le coup. Des Français ont tiré sur des Français. J’avais mes enfants à la maison. Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti ce jour-là. »


« Mon père a pris une balle perdue dans notre salon »

Joseph Lopez, le père de Gérard, est mort dans son salon, atteint d’une balle perdue, dix jours avant la fusillade de la rue d’Isly. Bien qu’il ne soit pas décédé le 26 mars, il est inscrit sur les listes officielles des victimes de cette tragédie, car il habitait le quartier de Bab El-Oued, dont le blocus avait déclenché la manifestation.

Quelques jours auparavant, sept appelés du contingent avaient été tués par des éléments de l’OAS — une organisation terroriste clandestine française d’extrême droite — à la suite d’un accrochage. En réaction, les forces de l’ordre avaient instauré des fouilles violentes et un blocus du quartier.

Gérard se souvient :

« D’un coup, il y a eu des tirs sur les immeubles, les balles sifflaient. Moi, j’étais un enfant recroquevillésur la terrasse, et mon père, dans le salon, essayait de me trouver. Il a été touché à l’artère fémorale et s’est vidé de son sang avant d’arriver à l’hôpital. Le reste de la nuit, je l’ai passée dans les toilettes avec le reste de la famille. C’était la seule pièce de la maison sans mur donnant sur l’extérieur. »

Aujourd’hui, Gérard dit être en paix. Il n’est jamais retourné en Algérie après le drame et a épousé une métropolitaine. Chaque année, il commémore la date pour ne jamais oublier.

« L’histoire se referme sur nous. Les pieds-noirs disparaissent. Mais avec mon frère, tant qu’on sera en vie, on viendra commémorer ce qu’il s’est passé. On critique aujourd’hui Israël qui tire sur des civils à Gaza, ou les Russes en Ukraine. **À l’époque, la France n’a pas fait mieux. »

Avant la fin de la cérémonie, Gérard a tenu à lire un à un les noms des morts ce jour-là : Français et Algériens.

NB : Toutes les photos sauf la plaque dévoilée ce 26 mars 2025 ont été prises au même événement l’année passée.

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Commémoration du massacre de la rue d’Isly à Alger, une stèle dévoilée

Le 26 mars 1962, soit huit jours après les accords d’Évian, les troupes françaises ouvrent le feu pendant une quinzaine de minutes sur des manifestants favorables à l’Algérie française, rue d’Isly à Alger. Le bilan est lourd : 46 morts le jour même et environ 200 blessés. Le déclencheur de ce massacre n’a jamais été clairement établi. Pour de nombreux historiens, cet événement demeure l’un des épisodes les plus marquants de la censure pratiquée durant la guerre d’Algérie.

À l’occasion du 63e anniversaire de ce drame, la municipalité a invité les rapatriés d’Afrique du Nord à se rassembler devant le monument aux morts pour se recueillir. Lors de la cérémonie, une stèle en hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ainsi qu’aux victimes civiles a été dévoilée, suscitant une vive émotion.

Christiane Giordano, présidente de l’association Les Rapatriés d’Afrique du Nord, a reçu la médaille de la ville pour ses nombreuses actions en faveur de cette communauté. Une aquarelle représentant Bab El-Oued, quartier populaire d’Alger, lui a également été offerte des mains de Jean-Sébastien Vialatte, premier magistrat, ainsi qu’à Gérard Lopez, dont le père est mort dans son salon dix jours avant la fusillade, victime d’une balle perdue.

Les témoignages qui suivent ont été récoltés l’année passée pour le même événement. Idem pour les photographies.


« J’avais 25 ans et j’étais dans la foule »

Jacqueline avait 25 ans et deux enfants en bas âge à la maison. Après que les forces de l’ordre ont imposé un blocus dans le quartier de Bab El-Oued, elle décide de rejoindre la foule pour manifester.

« Mon mari n’aimait pas ce genre de chose, mais moi je voulais faire entendre ma voix. Devant moi, j’ai vu les premiers corps tomber et j’ai entendu les balles. J’ai ouvert la première porte que j’ai trouvée, c’était un immeuble. Je suis montée au cinquième étage et j’ai attendu plusieurs heures qu’il n’y ait plus de bruit. »

Le souvenir reste intact, tout comme les émotions. Elle conclut :

« Ce sont les troupes françaises qui ont fait le coup. Des Français ont tiré sur des Français. J’avais mes enfants à la maison. Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti ce jour-là. »


« Mon père a pris une balle perdue dans notre salon »

Joseph Lopez, le père de Gérard, est mort dans son salon, atteint d’une balle perdue, dix jours avant la fusillade de la rue d’Isly. Bien qu’il ne soit pas décédé le 26 mars, il est inscrit sur les listes officielles des victimes de cette tragédie, car il habitait le quartier de Bab El-Oued, dont le blocus avait déclenché la manifestation.

Quelques jours auparavant, sept appelés du contingent avaient été tués par des éléments de l’OAS — une organisation terroriste clandestine française d’extrême droite — à la suite d’un accrochage. En réaction, les forces de l’ordre avaient instauré des fouilles violentes et un blocus du quartier.

Gérard se souvient :

« D’un coup, il y a eu des tirs sur les immeubles, les balles sifflaient. Moi, j’étais un enfant recroquevillésur la terrasse, et mon père, dans le salon, essayait de me trouver. Il a été touché à l’artère fémorale et s’est vidé de son sang avant d’arriver à l’hôpital. Le reste de la nuit, je l’ai passée dans les toilettes avec le reste de la famille. C’était la seule pièce de la maison sans mur donnant sur l’extérieur. »

Aujourd’hui, Gérard dit être en paix. Il n’est jamais retourné en Algérie après le drame et a épousé une métropolitaine. Chaque année, il commémore la date pour ne jamais oublier.

« L’histoire se referme sur nous. Les pieds-noirs disparaissent. Mais avec mon frère, tant qu’on sera en vie, on viendra commémorer ce qu’il s’est passé. On critique aujourd’hui Israël qui tire sur des civils à Gaza, ou les Russes en Ukraine. **À l’époque, la France n’a pas fait mieux. »

Avant la fin de la cérémonie, Gérard a tenu à lire un à un les noms des morts ce jour-là : Français et Algériens.

NB : Toutes les photos sauf la plaque dévoilée ce 26 mars 2025 ont été prises au même événement l’année passée.

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À l’occasion du 63e anniversaire de ce drame, la municipalité a invité les rapatriés d’Afrique du Nord à se rassembler devant le monument aux morts pour se recueillir. Lors de la cérémonie, une stèle en hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ainsi qu’aux victimes civiles a été dévoilée, suscitant une vive émotion.

Christiane Giordano, présidente de l’association Les Rapatriés d’Afrique du Nord, a reçu la médaille de la ville pour ses nombreuses actions en faveur de cette communauté. Une aquarelle représentant Bab El-Oued, quartier populaire d’Alger, lui a également été offerte des mains de Jean-Sébastien Vialatte, premier magistrat, ainsi qu’à Gérard Lopez, dont le père est mort dans son salon dix jours avant la fusillade, victime d’une balle perdue.

Les témoignages qui suivent ont été récoltés l’année passée pour le même événement. Idem pour les photographies.


« J’avais 25 ans et j’étais dans la foule »

Jacqueline avait 25 ans et deux enfants en bas âge à la maison. Après que les forces de l’ordre ont imposé un blocus dans le quartier de Bab El-Oued, elle décide de rejoindre la foule pour manifester.

« Mon mari n’aimait pas ce genre de chose, mais moi je voulais faire entendre ma voix. Devant moi, j’ai vu les premiers corps tomber et j’ai entendu les balles. J’ai ouvert la première porte que j’ai trouvée, c’était un immeuble. Je suis montée au cinquième étage et j’ai attendu plusieurs heures qu’il n’y ait plus de bruit. »

Le souvenir reste intact, tout comme les émotions. Elle conclut :

« Ce sont les troupes françaises qui ont fait le coup. Des Français ont tiré sur des Français. J’avais mes enfants à la maison. Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti ce jour-là. »


« Mon père a pris une balle perdue dans notre salon »

Joseph Lopez, le père de Gérard, est mort dans son salon, atteint d’une balle perdue, dix jours avant la fusillade de la rue d’Isly. Bien qu’il ne soit pas décédé le 26 mars, il est inscrit sur les listes officielles des victimes de cette tragédie, car il habitait le quartier de Bab El-Oued, dont le blocus avait déclenché la manifestation.

Quelques jours auparavant, sept appelés du contingent avaient été tués par des éléments de l’OAS — une organisation terroriste clandestine française d’extrême droite — à la suite d’un accrochage. En réaction, les forces de l’ordre avaient instauré des fouilles violentes et un blocus du quartier.

Gérard se souvient :

« D’un coup, il y a eu des tirs sur les immeubles, les balles sifflaient. Moi, j’étais un enfant recroquevillésur la terrasse, et mon père, dans le salon, essayait de me trouver. Il a été touché à l’artère fémorale et s’est vidé de son sang avant d’arriver à l’hôpital. Le reste de la nuit, je l’ai passée dans les toilettes avec le reste de la famille. C’était la seule pièce de la maison sans mur donnant sur l’extérieur. »

Aujourd’hui, Gérard dit être en paix. Il n’est jamais retourné en Algérie après le drame et a épousé une métropolitaine. Chaque année, il commémore la date pour ne jamais oublier.

« L’histoire se referme sur nous. Les pieds-noirs disparaissent. Mais avec mon frère, tant qu’on sera en vie, on viendra commémorer ce qu’il s’est passé. On critique aujourd’hui Israël qui tire sur des civils à Gaza, ou les Russes en Ukraine. **À l’époque, la France n’a pas fait mieux. »

Avant la fin de la cérémonie, Gérard a tenu à lire un à un les noms des morts ce jour-là : Français et Algériens.

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