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mardi 15 avril 2025

Le laboratoire oublié du Brusc et l’héritage scientifique du IIIe Reich

Peu le savent, mais dans les années d’après-guerre, le petit village du Brusc a été le théâtre d’une étrange reconversion : celle de technologies développées sous le régime nazi. Il ne s’agissait évidemment pas de faire perdurer une idéologie, mais de ne pas laisser échapper un savoir stratégique, indispensable à la guerre sous-marine dans le contexte tendu de la Guerre froide.

Tout commence après le débarquement de Provence : l’armée française fonce vers le Danube à la poursuite des troupes allemandes. Une partie de ses effectifs progresse jusqu’au lac de Constance et, à la demande du général de Gaulle, un détachement de 400 marins est envoyé à la recherche d’installations présentant un caractère naval. Le 30 avril 1945, ils atteignent Kressbronn et pénètrent dans un important chantier naval. Ils y découvrent un laboratoire de recherche spécialisé dans l’acoustique sous-marine, épargné par les bombardements alliés.

Pendant neuf mois, les Français, avec le concours de personnel allemand réquisitionné sur place, remettent le laboratoire en fonctionnement et poursuivent les expérimentations acoustiques sur le lac. Frédéric Dumas et Philippe Tailliez sont envoyés en mission pour examiner les équipements liés à la physiologie sous-marine, tandis que Jacques-Yves Cousteau reste à Toulon.

Le 29 mars 1946, le commandement des Forces françaises en Allemagne ordonne le rapatriement en France de tous les établissements militaires situés en zone occupée. Lorsque le premier convoi, composé de vingt wagons, quitte Kressbronn avec du matériel ainsi que les éléments des baraques destinées au Brusc, des ouvriers de l’arsenal de Toulon sont mobilisés pour les remonter sur place. Un deuxième train transporte dix-huit ingénieurs et techniciens allemands, accompagnés de leurs familles, vers Le Brusc.

L’aventure scientifique du Laboratoire de Détection Sous-Marine du Brusc, sous la direction de l’ingénieur Pierre Foäche, peut alors commencer. Officiellement dédié à l’acoustique sous-marine, ce centre avait pour mission de perfectionner les systèmes de détection sonar.

Comme d’autres pays alliés, la France va tirer parti du savoir-faire allemand, fruit des recherches militaires menées sous le IIIe Reich. L’acoustique appliquée aux sous-marins et aux torpilles était un domaine dans lequel l’Allemagne nazie avait une avance considérable, grâce à des investissements massifs dans la technologie de guerre.

D’après les travaux des Amis du patrimoine de Six-Fours. https://histoire-six-fours.fr/

 

De l’Allemagne d’Hitler aux sous-marins français : le destin hors-norme d’Ursula Pacaud-Meindl

Ursula Pacaud-Meindl, pionnière méconnue de la détection sous-marine française, s’est éteinte en 2024 après avoir traversé plus d’un siècle d’histoire.

Fille d’un général parachutiste de la Wehrmacht, elle grandit dans l’Allemagne en guerre. Étudiante à l’époque, elle croise même par hasard Adolf Hitler dans un restaurant, une rencontre fortuite restée gravée dans sa mémoire.

En 1947, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle est recrutée par la Direction des Constructions et Armes Navales française. Elle rejoint alors le laboratoire de détection sous-marine du Brusc, dans le Var, un centre stratégique né du transfert de savoirs scientifiques issus du conflit.

Spécialiste de la mesure du bruit rayonné par les bâtiments en mer, Ursula Pacaud-Meindl participe à une mission cruciale : identifier, enregistrer et analyser les sons émis par les navires pour en améliorer la furtivité. Au cours de sa carrière, elle effectue 1 140 campagnes de mesures, dont 734 sur des sous-marins.

Son travail de précision et sa rigueur scientifique lui valent d’être aujourd’hui reconnue comme la « mère des oreilles d’or » de la Marine nationale, ces spécialistes capables d’identifier les moindres sons sous-marins.

Elle est nommée chevalier de l’Ordre national du Mérite en 1981, puis chevalier de la Légion d’honneur en 1987.

Témoignages : « Nous avons bénéficié de certaines avancées »

Christian Audoly a rejoint le laboratoire du Brusc en 1983. Il était alors un tout jeune ingénieur en étude de recherches. Il raconte : « Quand je suis arrivé, mon bureau était dans l’un de ces préfabriqués construit pour les savants allemands. J’en ai croisé certains dans ma carrière, dont Ursula Pacaud-Meindl, qui était une très grande figure de la recherche. » Il poursuit : « En réalité, les Allemands n’ont pas découvert les principes de base des transducteurs acoustiques sous-marins, mais ils ont mis au point une technologie qui en représentait l’un des aboutissements les plus avancés de l’époque. Parmi ces innovations, on peut citer un type d’hydrophone monté dans une cavité résonante, qui vibrait à la détection d’une onde acoustique. Visuellement, cela ressemblait à un gros champignon, d’où son surnom. Ce dispositif était utilisé pour la détection passive – autrement dit, pour écouter sans émettre – afin d’identifier la présence de sous-marins, de torpilles ou de navires de surface.

Pour ma part, j’ai étudié une partie de ces technologies, mais j’étais théoricien, pas expérimentateur. » Dans le cadre  de la réorganisation des infrastructures du ministère de La Défense, le laboratoire de détection Sous-Marine du Brusc ferme ses portes en 2002. Certains scientifiques ont été délocalisés vers d’autres établissement de La Défense, d’autres se sont alors tournés vers le secteur privé.

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Peu le savent, mais dans les années d’après-guerre, le petit village du Brusc a été le théâtre d’une étrange reconversion : celle de technologies développées sous le régime nazi. Il ne s’agissait évidemment pas de faire perdurer une idéologie, mais de ne pas laisser échapper un savoir stratégique, indispensable à la guerre sous-marine dans le contexte tendu de la Guerre froide.

Tout commence après le débarquement de Provence : l’armée française fonce vers le Danube à la poursuite des troupes allemandes. Une partie de ses effectifs progresse jusqu’au lac de Constance et, à la demande du général de Gaulle, un détachement de 400 marins est envoyé à la recherche d’installations présentant un caractère naval. Le 30 avril 1945, ils atteignent Kressbronn et pénètrent dans un important chantier naval. Ils y découvrent un laboratoire de recherche spécialisé dans l’acoustique sous-marine, épargné par les bombardements alliés.

Pendant neuf mois, les Français, avec le concours de personnel allemand réquisitionné sur place, remettent le laboratoire en fonctionnement et poursuivent les expérimentations acoustiques sur le lac. Frédéric Dumas et Philippe Tailliez sont envoyés en mission pour examiner les équipements liés à la physiologie sous-marine, tandis que Jacques-Yves Cousteau reste à Toulon.

Le 29 mars 1946, le commandement des Forces françaises en Allemagne ordonne le rapatriement en France de tous les établissements militaires situés en zone occupée. Lorsque le premier convoi, composé de vingt wagons, quitte Kressbronn avec du matériel ainsi que les éléments des baraques destinées au Brusc, des ouvriers de l’arsenal de Toulon sont mobilisés pour les remonter sur place. Un deuxième train transporte dix-huit ingénieurs et techniciens allemands, accompagnés de leurs familles, vers Le Brusc.

L’aventure scientifique du Laboratoire de Détection Sous-Marine du Brusc, sous la direction de l’ingénieur Pierre Foäche, peut alors commencer. Officiellement dédié à l’acoustique sous-marine, ce centre avait pour mission de perfectionner les systèmes de détection sonar.

Comme d’autres pays alliés, la France va tirer parti du savoir-faire allemand, fruit des recherches militaires menées sous le IIIe Reich. L’acoustique appliquée aux sous-marins et aux torpilles était un domaine dans lequel l’Allemagne nazie avait une avance considérable, grâce à des investissements massifs dans la technologie de guerre.

D’après les travaux des Amis du patrimoine de Six-Fours. https://histoire-six-fours.fr/

 

De l’Allemagne d’Hitler aux sous-marins français : le destin hors-norme d’Ursula Pacaud-Meindl

Ursula Pacaud-Meindl, pionnière méconnue de la détection sous-marine française, s’est éteinte en 2024 après avoir traversé plus d’un siècle d’histoire.

Fille d’un général parachutiste de la Wehrmacht, elle grandit dans l’Allemagne en guerre. Étudiante à l’époque, elle croise même par hasard Adolf Hitler dans un restaurant, une rencontre fortuite restée gravée dans sa mémoire.

En 1947, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle est recrutée par la Direction des Constructions et Armes Navales française. Elle rejoint alors le laboratoire de détection sous-marine du Brusc, dans le Var, un centre stratégique né du transfert de savoirs scientifiques issus du conflit.

Spécialiste de la mesure du bruit rayonné par les bâtiments en mer, Ursula Pacaud-Meindl participe à une mission cruciale : identifier, enregistrer et analyser les sons émis par les navires pour en améliorer la furtivité. Au cours de sa carrière, elle effectue 1 140 campagnes de mesures, dont 734 sur des sous-marins.

Son travail de précision et sa rigueur scientifique lui valent d’être aujourd’hui reconnue comme la « mère des oreilles d’or » de la Marine nationale, ces spécialistes capables d’identifier les moindres sons sous-marins.

Elle est nommée chevalier de l’Ordre national du Mérite en 1981, puis chevalier de la Légion d’honneur en 1987.

Témoignages : « Nous avons bénéficié de certaines avancées »

Christian Audoly a rejoint le laboratoire du Brusc en 1983. Il était alors un tout jeune ingénieur en étude de recherches. Il raconte : « Quand je suis arrivé, mon bureau était dans l’un de ces préfabriqués construit pour les savants allemands. J’en ai croisé certains dans ma carrière, dont Ursula Pacaud-Meindl, qui était une très grande figure de la recherche. » Il poursuit : « En réalité, les Allemands n’ont pas découvert les principes de base des transducteurs acoustiques sous-marins, mais ils ont mis au point une technologie qui en représentait l’un des aboutissements les plus avancés de l’époque. Parmi ces innovations, on peut citer un type d’hydrophone monté dans une cavité résonante, qui vibrait à la détection d’une onde acoustique. Visuellement, cela ressemblait à un gros champignon, d’où son surnom. Ce dispositif était utilisé pour la détection passive – autrement dit, pour écouter sans émettre – afin d’identifier la présence de sous-marins, de torpilles ou de navires de surface.

Pour ma part, j’ai étudié une partie de ces technologies, mais j’étais théoricien, pas expérimentateur. » Dans le cadre  de la réorganisation des infrastructures du ministère de La Défense, le laboratoire de détection Sous-Marine du Brusc ferme ses portes en 2002. Certains scientifiques ont été délocalisés vers d’autres établissement de La Défense, d’autres se sont alors tournés vers le secteur privé.

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Tout commence après le débarquement de Provence : l’armée française fonce vers le Danube à la poursuite des troupes allemandes. Une partie de ses effectifs progresse jusqu’au lac de Constance et, à la demande du général de Gaulle, un détachement de 400 marins est envoyé à la recherche d’installations présentant un caractère naval. Le 30 avril 1945, ils atteignent Kressbronn et pénètrent dans un important chantier naval. Ils y découvrent un laboratoire de recherche spécialisé dans l’acoustique sous-marine, épargné par les bombardements alliés.

Pendant neuf mois, les Français, avec le concours de personnel allemand réquisitionné sur place, remettent le laboratoire en fonctionnement et poursuivent les expérimentations acoustiques sur le lac. Frédéric Dumas et Philippe Tailliez sont envoyés en mission pour examiner les équipements liés à la physiologie sous-marine, tandis que Jacques-Yves Cousteau reste à Toulon.

Le 29 mars 1946, le commandement des Forces françaises en Allemagne ordonne le rapatriement en France de tous les établissements militaires situés en zone occupée. Lorsque le premier convoi, composé de vingt wagons, quitte Kressbronn avec du matériel ainsi que les éléments des baraques destinées au Brusc, des ouvriers de l’arsenal de Toulon sont mobilisés pour les remonter sur place. Un deuxième train transporte dix-huit ingénieurs et techniciens allemands, accompagnés de leurs familles, vers Le Brusc.

L’aventure scientifique du Laboratoire de Détection Sous-Marine du Brusc, sous la direction de l’ingénieur Pierre Foäche, peut alors commencer. Officiellement dédié à l’acoustique sous-marine, ce centre avait pour mission de perfectionner les systèmes de détection sonar.

Comme d’autres pays alliés, la France va tirer parti du savoir-faire allemand, fruit des recherches militaires menées sous le IIIe Reich. L’acoustique appliquée aux sous-marins et aux torpilles était un domaine dans lequel l’Allemagne nazie avait une avance considérable, grâce à des investissements massifs dans la technologie de guerre.

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Ursula Pacaud-Meindl, pionnière méconnue de la détection sous-marine française, s’est éteinte en 2024 après avoir traversé plus d’un siècle d’histoire.

Fille d’un général parachutiste de la Wehrmacht, elle grandit dans l’Allemagne en guerre. Étudiante à l’époque, elle croise même par hasard Adolf Hitler dans un restaurant, une rencontre fortuite restée gravée dans sa mémoire.

En 1947, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle est recrutée par la Direction des Constructions et Armes Navales française. Elle rejoint alors le laboratoire de détection sous-marine du Brusc, dans le Var, un centre stratégique né du transfert de savoirs scientifiques issus du conflit.

Spécialiste de la mesure du bruit rayonné par les bâtiments en mer, Ursula Pacaud-Meindl participe à une mission cruciale : identifier, enregistrer et analyser les sons émis par les navires pour en améliorer la furtivité. Au cours de sa carrière, elle effectue 1 140 campagnes de mesures, dont 734 sur des sous-marins.

Son travail de précision et sa rigueur scientifique lui valent d’être aujourd’hui reconnue comme la « mère des oreilles d’or » de la Marine nationale, ces spécialistes capables d’identifier les moindres sons sous-marins.

Elle est nommée chevalier de l’Ordre national du Mérite en 1981, puis chevalier de la Légion d’honneur en 1987.

Témoignages : « Nous avons bénéficié de certaines avancées »

Christian Audoly a rejoint le laboratoire du Brusc en 1983. Il était alors un tout jeune ingénieur en étude de recherches. Il raconte : « Quand je suis arrivé, mon bureau était dans l’un de ces préfabriqués construit pour les savants allemands. J’en ai croisé certains dans ma carrière, dont Ursula Pacaud-Meindl, qui était une très grande figure de la recherche. » Il poursuit : « En réalité, les Allemands n’ont pas découvert les principes de base des transducteurs acoustiques sous-marins, mais ils ont mis au point une technologie qui en représentait l’un des aboutissements les plus avancés de l’époque. Parmi ces innovations, on peut citer un type d’hydrophone monté dans une cavité résonante, qui vibrait à la détection d’une onde acoustique. Visuellement, cela ressemblait à un gros champignon, d’où son surnom. Ce dispositif était utilisé pour la détection passive – autrement dit, pour écouter sans émettre – afin d’identifier la présence de sous-marins, de torpilles ou de navires de surface.

Pour ma part, j’ai étudié une partie de ces technologies, mais j’étais théoricien, pas expérimentateur. » Dans le cadre  de la réorganisation des infrastructures du ministère de La Défense, le laboratoire de détection Sous-Marine du Brusc ferme ses portes en 2002. Certains scientifiques ont été délocalisés vers d’autres établissement de La Défense, d’autres se sont alors tournés vers le secteur privé.

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