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Toulon
vendredi 22 novembre 2024

Le programme scolaire se vie aussi sur les anciens chantiers avec les ouvriers d’hier

Les membres du Centre de Ressources sur la Construction Navale (CRCN) sont, pour la plupart, des anciens des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. S’ils collectent les vestiges d’un passé révolu, c’est pour mieux les partager avec les nouvelles générations.

Il arrive donc fréquemment qu’ils répondent aux sollicitations des professeurs du département qui souhaitent rendre le programme scolaire plus vivant. Ce vendredi, ce sont des adolescents du collège Paul Éluard  qui sont venus écouter les anecdotes des anciens ouvriers. « Une belle opportunité » selon leur professeure qui s’est dit ravie de les voir comprendre le Taylorisme, le capitalisme, les luttes syndicales et autres, par le biais de rencontres. Certains d’entre eux choisiront l’année prochaine une voie professionnelle. « Aux chantiers, plus de 350 métiers cohabitaient, quoi que vous ayez envie de faire, à l’époque vous auriez pu venir travailler avec nous » a commencé Jean-Claude Guisti, président de l’association.

Pendant une après-midi entière, une vie au son du sifflement de la porte des chantiers a été contée avec ses douceurs et ses peines. Loin d’assister à un simple cours, les élèves ont pu interagir avec les anciens qui n’ont pas été avares en anecdotes (voir les encadrés) ni en boutade. Remarquant qu’un groupe de garçons discutaient autour d’une photographie ancienne, leur intérêt pour cette dernière à tout de suite été révélé au reste de la classe : « C’est la secrétaire que vous regardez ! Mais oui ! Elle en a fait tourner des têtes à l’époque. Je suis navré de vous apprendre qu’elle est décédée il y a quelques mois par contre. L’amour, ça tient à peu de chose parfois. » 

« On recensait 6000 accidents par an »

La vie sur les chantiers navals n’était pas sans risque selon le poste qu’on occupait. Jean-Jacques Le Gallo officiait au bureau des contrôles, cela signifie qu’il faisait la liaison entre les constructions des chantiers et les clients qui passaient commande en vérifiant que tout soit conforme. Parfois, lorsqu’un accident se produisait, il fallait qu’il inspecte toutes les pièces pour comprendre l’origine du drame afin d’éviter qu’il ne se répète. Il raconte : « Je me souviens qu’un jour une grue est tout simplement tombée en tuant évidement le grutier. Il y en avait une autre juste à côté. Le lendemain du drame, on m’a envoyé vérifier les soudures de celle qui n’avait pas cédée. Avec mes outils j’ai grimpé les 67 mètres et j’ai scrupuleusement tout contrôlé y compris le mât. Une fois que vous êtes en haut, sachez que quelque soit la météo, la structure se balance tout doucement au dessus du vide. J’étais allongé sur le dos et je ne pensais qu’à trouver la faille, en vain. » En une année, on pouvait recenser jusqu’à 6000 accidents : de la coupure jusqu’à la mort. Pour Jean-Jacques, un autre souvenir est persistant dans son esprit : « Des ouvriers travaillaient sur une grande charpente qui devait servir à l’avant du bateau. Il pleuvait, il y avait du vent. Je ne sais comment, mais elle est tombée et a écrasé les hommes en dessous. On m’a dit de ne pas  aller voir. Je regardais mes pieds, l’eau de la pluie était rouge de sang. » 

« Il y a eu des drames à la fermeture »

Pierre Roume est entré en tant qu’apprentis sur les chantiers navals. Il pensait y faire toute sa carrière lorsque les vagues de licenciements se sont succédées. C’est sa femme la première qui a perdu sa place. Elle venait d’obtenir une promotion et ne savait pas que dans le même temps, une lettre mettant fin à sa carrière allait arriver dans sa boite aux lettres. Pierre se souvient : « Ça a été un déchirement pour elle. Puis les choses sont allées de plus en plus mal. Je croisais des copains qui pleuraient parfois parce qu’ils venaient de recevoir la même sentence chez eux. À la fin, notre avenir était si incertain, qu’on était plus que reconduit de semaine en semaine. Ça attaquait la tête ça, de ne pas savoir ce qu’il adviendrait demain. Mon tour est finalement venu. On m’a demandé de choisir entre la porte simplement ou une reconversion. C’est comme ça que je suis arrivé à l’arsenal de Toulon plein d’espoir. Dès le premier jour, j’ai été accueillis avec les autres par un officier qui nous a expliqué que nous n’étions pas les bienvenus et qu’on volait la place d’autres. Quand j’ai vu mon salaire, j’ai aussi eu un coup dur, je ne touchais plus que 65% de ma paie, je repartais de zéro et j’avais passé la quarantaine. J’ai tenu le coup pour ma femme et parce qu’on venait d’adopter un enfant. Des copains se sont suicidés. C’était terrible, il fallait avancer coûte que coûte pour ne pas sombrer. » 

900 morts ! 

900 personnes sont décédées d’avoir été exposées à l’amiante alors qu’elles travaillaient aux chantiers navals de La Seyne-sur-Mer et de la Ciotat. Les familles des ouvriers ont aussi été impactées : certains ramenaient leur bleu de travail à la maison pour le faire laver par leur femme. En manipulant ces derniers, elles inspiraient et se contaminaient par le biais d’un mal invisible. La poussière d’amiante peut mettre des années à provoquer des complications. La maladie semble choisir au hasard ses victimes. Après onze années de procédure, un contremaître du chantier a fait reconnaître la responsabilité de l’Etat par la justice pour la première fois en 2019.

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Le programme scolaire se vie aussi sur les anciens chantiers avec les ouvriers d’hier

Les membres du Centre de Ressources sur la Construction Navale (CRCN) sont, pour la plupart, des anciens des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. S’ils collectent les vestiges d’un passé révolu, c’est pour mieux les partager avec les nouvelles générations.

Il arrive donc fréquemment qu’ils répondent aux sollicitations des professeurs du département qui souhaitent rendre le programme scolaire plus vivant. Ce vendredi, ce sont des adolescents du collège Paul Éluard  qui sont venus écouter les anecdotes des anciens ouvriers. « Une belle opportunité » selon leur professeure qui s’est dit ravie de les voir comprendre le Taylorisme, le capitalisme, les luttes syndicales et autres, par le biais de rencontres. Certains d’entre eux choisiront l’année prochaine une voie professionnelle. « Aux chantiers, plus de 350 métiers cohabitaient, quoi que vous ayez envie de faire, à l’époque vous auriez pu venir travailler avec nous » a commencé Jean-Claude Guisti, président de l’association.

Pendant une après-midi entière, une vie au son du sifflement de la porte des chantiers a été contée avec ses douceurs et ses peines. Loin d’assister à un simple cours, les élèves ont pu interagir avec les anciens qui n’ont pas été avares en anecdotes (voir les encadrés) ni en boutade. Remarquant qu’un groupe de garçons discutaient autour d’une photographie ancienne, leur intérêt pour cette dernière à tout de suite été révélé au reste de la classe : « C’est la secrétaire que vous regardez ! Mais oui ! Elle en a fait tourner des têtes à l’époque. Je suis navré de vous apprendre qu’elle est décédée il y a quelques mois par contre. L’amour, ça tient à peu de chose parfois. » 

« On recensait 6000 accidents par an »

La vie sur les chantiers navals n’était pas sans risque selon le poste qu’on occupait. Jean-Jacques Le Gallo officiait au bureau des contrôles, cela signifie qu’il faisait la liaison entre les constructions des chantiers et les clients qui passaient commande en vérifiant que tout soit conforme. Parfois, lorsqu’un accident se produisait, il fallait qu’il inspecte toutes les pièces pour comprendre l’origine du drame afin d’éviter qu’il ne se répète. Il raconte : « Je me souviens qu’un jour une grue est tout simplement tombée en tuant évidement le grutier. Il y en avait une autre juste à côté. Le lendemain du drame, on m’a envoyé vérifier les soudures de celle qui n’avait pas cédée. Avec mes outils j’ai grimpé les 67 mètres et j’ai scrupuleusement tout contrôlé y compris le mât. Une fois que vous êtes en haut, sachez que quelque soit la météo, la structure se balance tout doucement au dessus du vide. J’étais allongé sur le dos et je ne pensais qu’à trouver la faille, en vain. » En une année, on pouvait recenser jusqu’à 6000 accidents : de la coupure jusqu’à la mort. Pour Jean-Jacques, un autre souvenir est persistant dans son esprit : « Des ouvriers travaillaient sur une grande charpente qui devait servir à l’avant du bateau. Il pleuvait, il y avait du vent. Je ne sais comment, mais elle est tombée et a écrasé les hommes en dessous. On m’a dit de ne pas  aller voir. Je regardais mes pieds, l’eau de la pluie était rouge de sang. » 

« Il y a eu des drames à la fermeture »

Pierre Roume est entré en tant qu’apprentis sur les chantiers navals. Il pensait y faire toute sa carrière lorsque les vagues de licenciements se sont succédées. C’est sa femme la première qui a perdu sa place. Elle venait d’obtenir une promotion et ne savait pas que dans le même temps, une lettre mettant fin à sa carrière allait arriver dans sa boite aux lettres. Pierre se souvient : « Ça a été un déchirement pour elle. Puis les choses sont allées de plus en plus mal. Je croisais des copains qui pleuraient parfois parce qu’ils venaient de recevoir la même sentence chez eux. À la fin, notre avenir était si incertain, qu’on était plus que reconduit de semaine en semaine. Ça attaquait la tête ça, de ne pas savoir ce qu’il adviendrait demain. Mon tour est finalement venu. On m’a demandé de choisir entre la porte simplement ou une reconversion. C’est comme ça que je suis arrivé à l’arsenal de Toulon plein d’espoir. Dès le premier jour, j’ai été accueillis avec les autres par un officier qui nous a expliqué que nous n’étions pas les bienvenus et qu’on volait la place d’autres. Quand j’ai vu mon salaire, j’ai aussi eu un coup dur, je ne touchais plus que 65% de ma paie, je repartais de zéro et j’avais passé la quarantaine. J’ai tenu le coup pour ma femme et parce qu’on venait d’adopter un enfant. Des copains se sont suicidés. C’était terrible, il fallait avancer coûte que coûte pour ne pas sombrer. » 

900 morts ! 

900 personnes sont décédées d’avoir été exposées à l’amiante alors qu’elles travaillaient aux chantiers navals de La Seyne-sur-Mer et de la Ciotat. Les familles des ouvriers ont aussi été impactées : certains ramenaient leur bleu de travail à la maison pour le faire laver par leur femme. En manipulant ces derniers, elles inspiraient et se contaminaient par le biais d’un mal invisible. La poussière d’amiante peut mettre des années à provoquer des complications. La maladie semble choisir au hasard ses victimes. Après onze années de procédure, un contremaître du chantier a fait reconnaître la responsabilité de l’Etat par la justice pour la première fois en 2019.

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Il arrive donc fréquemment qu’ils répondent aux sollicitations des professeurs du département qui souhaitent rendre le programme scolaire plus vivant. Ce vendredi, ce sont des adolescents du collège Paul Éluard  qui sont venus écouter les anecdotes des anciens ouvriers. « Une belle opportunité » selon leur professeure qui s’est dit ravie de les voir comprendre le Taylorisme, le capitalisme, les luttes syndicales et autres, par le biais de rencontres. Certains d’entre eux choisiront l’année prochaine une voie professionnelle. « Aux chantiers, plus de 350 métiers cohabitaient, quoi que vous ayez envie de faire, à l’époque vous auriez pu venir travailler avec nous » a commencé Jean-Claude Guisti, président de l’association.

Pendant une après-midi entière, une vie au son du sifflement de la porte des chantiers a été contée avec ses douceurs et ses peines. Loin d’assister à un simple cours, les élèves ont pu interagir avec les anciens qui n’ont pas été avares en anecdotes (voir les encadrés) ni en boutade. Remarquant qu’un groupe de garçons discutaient autour d’une photographie ancienne, leur intérêt pour cette dernière à tout de suite été révélé au reste de la classe : « C’est la secrétaire que vous regardez ! Mais oui ! Elle en a fait tourner des têtes à l’époque. Je suis navré de vous apprendre qu’elle est décédée il y a quelques mois par contre. L’amour, ça tient à peu de chose parfois. » 

« On recensait 6000 accidents par an »

La vie sur les chantiers navals n’était pas sans risque selon le poste qu’on occupait. Jean-Jacques Le Gallo officiait au bureau des contrôles, cela signifie qu’il faisait la liaison entre les constructions des chantiers et les clients qui passaient commande en vérifiant que tout soit conforme. Parfois, lorsqu’un accident se produisait, il fallait qu’il inspecte toutes les pièces pour comprendre l’origine du drame afin d’éviter qu’il ne se répète. Il raconte : « Je me souviens qu’un jour une grue est tout simplement tombée en tuant évidement le grutier. Il y en avait une autre juste à côté. Le lendemain du drame, on m’a envoyé vérifier les soudures de celle qui n’avait pas cédée. Avec mes outils j’ai grimpé les 67 mètres et j’ai scrupuleusement tout contrôlé y compris le mât. Une fois que vous êtes en haut, sachez que quelque soit la météo, la structure se balance tout doucement au dessus du vide. J’étais allongé sur le dos et je ne pensais qu’à trouver la faille, en vain. » En une année, on pouvait recenser jusqu’à 6000 accidents : de la coupure jusqu’à la mort. Pour Jean-Jacques, un autre souvenir est persistant dans son esprit : « Des ouvriers travaillaient sur une grande charpente qui devait servir à l’avant du bateau. Il pleuvait, il y avait du vent. Je ne sais comment, mais elle est tombée et a écrasé les hommes en dessous. On m’a dit de ne pas  aller voir. Je regardais mes pieds, l’eau de la pluie était rouge de sang. » 

« Il y a eu des drames à la fermeture »

Pierre Roume est entré en tant qu’apprentis sur les chantiers navals. Il pensait y faire toute sa carrière lorsque les vagues de licenciements se sont succédées. C’est sa femme la première qui a perdu sa place. Elle venait d’obtenir une promotion et ne savait pas que dans le même temps, une lettre mettant fin à sa carrière allait arriver dans sa boite aux lettres. Pierre se souvient : « Ça a été un déchirement pour elle. Puis les choses sont allées de plus en plus mal. Je croisais des copains qui pleuraient parfois parce qu’ils venaient de recevoir la même sentence chez eux. À la fin, notre avenir était si incertain, qu’on était plus que reconduit de semaine en semaine. Ça attaquait la tête ça, de ne pas savoir ce qu’il adviendrait demain. Mon tour est finalement venu. On m’a demandé de choisir entre la porte simplement ou une reconversion. C’est comme ça que je suis arrivé à l’arsenal de Toulon plein d’espoir. Dès le premier jour, j’ai été accueillis avec les autres par un officier qui nous a expliqué que nous n’étions pas les bienvenus et qu’on volait la place d’autres. Quand j’ai vu mon salaire, j’ai aussi eu un coup dur, je ne touchais plus que 65% de ma paie, je repartais de zéro et j’avais passé la quarantaine. J’ai tenu le coup pour ma femme et parce qu’on venait d’adopter un enfant. Des copains se sont suicidés. C’était terrible, il fallait avancer coûte que coûte pour ne pas sombrer. » 

900 morts ! 

900 personnes sont décédées d’avoir été exposées à l’amiante alors qu’elles travaillaient aux chantiers navals de La Seyne-sur-Mer et de la Ciotat. Les familles des ouvriers ont aussi été impactées : certains ramenaient leur bleu de travail à la maison pour le faire laver par leur femme. En manipulant ces derniers, elles inspiraient et se contaminaient par le biais d’un mal invisible. La poussière d’amiante peut mettre des années à provoquer des complications. La maladie semble choisir au hasard ses victimes. Après onze années de procédure, un contremaître du chantier a fait reconnaître la responsabilité de l’Etat par la justice pour la première fois en 2019.

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