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jeudi 30 janvier 2025

Les anciens des chantiers viennent à la rencontre des lycéens de Beaussier

Le dispositif de résidences d’auteurs en milieu scolaire, mis en place par le Ministère de l’Éducation Nationale, vise à promouvoir la lecture et à sensibiliser les élèves au métier d’écrivain. Au lycée Beaussier, l’autrice Lucile Bordes, originaire de Seyne-sur-Mer, a été sélectionnée pour accompagner une classe de 1ère Histoire Géographie et Sciences Politiques dans la réalisation d’un projet littéraire.

Ce projet consiste en la création d’un podcast, où les élèves auront l’occasion d’interviewer des anciens des chantiers navals, membres du Centre de Ressources sur la Construction Navale. À travers un jeu de questions journalistiques, ils pourront recueillir des témoignages et des récits de vie, enrichissant ainsi leur compréhension de l’histoire locale. En parallèle, les élèves travailleront sur une revue en ligne qui sera publiée sur le site du lycée, rendant leurs travaux accessibles à un public plus large.

Les élèves, lors d’un exercice réalisé mardi matin, ont exprimé leur enthousiasme pour ce projet, le considérant comme une opportunité précieuse pour mieux connaître leur ville et établir un dialogue avec des personnes ayant vécu des expériences significatives. La présence de Lucile Bordes a également été très appréciée, notamment en raison de son engagement et de son expérience. Son roman « 86, année blanche », publié pour les trente ans de la catastrophe de Tchernobyl, illustre sa capacité à croiser différents points de vue sur des événements tragiques, ce qui enrichit le projet en apportant une perspective littéraire et humaine.

Lucile Bordes : enquête de terrain: « La tragédie locale a occulté tout le reste ».

Lucile Bordes, dans son roman « 86, année blanche » publié en 2016 aux éditions Liana Levi, explore les répercussions de la catastrophe de Tchernobyl à travers le prisme de trois femmes vivant dans des contextes très différents : l’une dans le sud de la France, l’autre en Ukraine, et la dernière dans l’URSS de l’époque. Son approche littéraire se distingue par sa volonté de capturer les émotions et les ressentis des personnes touchées par cet événement tragique, plutôt que de relater des faits de manière journalistique.

L’autrice souligne l’importance de la recherche et de l’enquête dans son processus créatif. Pendant deux ans, elle a mené des interviews et recueilli des témoignages, y compris ceux de personnes ukrainiennes, afin de nourrir son récit de « matière brute ». Son propre souvenir de la catastrophe, marquant son adolescence, l’a poussée à s’interroger sur la mémoire collective de cet événement, notamment à La Seyne-sur-Mer, où elle a constaté une étrange amnésie collective.

Bordes note que, malgré l’impact significatif de Tchernobyl, les habitants de La Seyne-sur-Mer semblaient avoir occulté cet événement. Elle raconte : Lorsque j’ai commencé à demander aux gens de La Seyne-sur-Mer quels étaient leurs souvenirs, je n’ai eu aucune réponse. C’est comme si l’accident nucléaire n’avait eu aucune réalité ici. Personne ne se souvenait de rien. C’était très étrange, mais j’ai fini par comprendre. 1986, c’est aussi l’année où la société des chantiers navals a déposé le bilan. Ici, on vivait un véritable cataclysme. Si bien, que ce qui a été vécu comme une catastrophe en local a occulté complètement le reste des souvenirs des habitants de la Seyne. »

« À 15 ans, les chantiers m’ont effrayé »

Régis Bouisson est un fils d’agriculteur. À l’âge de 15 ans, il en a assez de l’école et dit à ses parents vouloir commencer sa vie professionnelle. Il a donc deux possibilités : travailler la terre comme ses aînés ou pousser la porte des chantiers navals. Le jeune homme commence alors une formation pour devenir chaudronnier, tuyauteur. Et le premier jour, il se dit effrayé.

Il raconte : « Pour un gamin qui a grandi dans les champs, les chantiers étaient très déstabilisants. Tout était très grand et il y avait beaucoup de bruit et des étincelles partout. J’étais effrayé. Les anciens que je croisais étaient carbonisés. À l’époque, on quittait son poste vers 68 ans, et quand on partait en retraite, on était au bout. Je me souviens qu’ils boitaient, la couleur de leur peau était différente, les doigts étaient gros, ils peinaient à s’asseoir, ils avaient de l’arthrose de partout. J’ai passé toute la matinée à imaginer une évasion. Je me disais à 12h, je sors, je prends le bus, je rentre à la maison et personne ne me reverra plus. J’ai finalement eu le courage de poursuivre et je n’ai pas regretté cette expérience même si j’ai fini par quitter mon poste avant le dépôt de bilan en 1986 et la fermeture l’année suivante. Psychologiquement, j’ai craqué. »

« Il y avait énormément de solidarité »

Jean-Paul Guisti, contrôleur aux chantiers navals, évoque avec nostalgie et respect la dureté du travail des ouvriers et la solidarité qui régnait parmi eux. Il souligne que les tensions n’émergeaient que lors des promotions, un reflet de la jalousie humaine, mais que, dans l’ensemble, l’entraide était la norme. Il décrit les conditions de travail difficiles, en particulier pour les travailleurs étrangers, souvent embauchés à la journée.

Jean-Paul se souvient des treize décès survenus durant sa carrière, et de la manière dont la communauté réagissait à ces tragédies : des collectes étaient organisées pour soutenir les veuves et les enfants des défunts. Il mentionne également une politique de l’entreprise qui permettait aux veuves de demander un emploi, souvent à l’atelier de couture, pour subvenir à leurs besoins.

En parlant des femmes dans le milieu du travail, il souligne qu’à son époque, elles étaient principalement cantonnées à des rôles dans la couture ou dans les bureaux. Cependant, il reconnaît leur contribution significative pendant les deux guerres mondiales, lorsque les hommes étaient mobilisés et que les femmes prenaient leur place dans les usines. Cette période a marqué un tournant dans l’histoire des chantiers, mettant en lumière le rôle essentiel des femmes dans l’industrie.

 

 

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Les anciens des chantiers viennent à la rencontre des lycéens de Beaussier

Le dispositif de résidences d’auteurs en milieu scolaire, mis en place par le Ministère de l’Éducation Nationale, vise à promouvoir la lecture et à sensibiliser les élèves au métier d’écrivain. Au lycée Beaussier, l’autrice Lucile Bordes, originaire de Seyne-sur-Mer, a été sélectionnée pour accompagner une classe de 1ère Histoire Géographie et Sciences Politiques dans la réalisation d’un projet littéraire.

Ce projet consiste en la création d’un podcast, où les élèves auront l’occasion d’interviewer des anciens des chantiers navals, membres du Centre de Ressources sur la Construction Navale. À travers un jeu de questions journalistiques, ils pourront recueillir des témoignages et des récits de vie, enrichissant ainsi leur compréhension de l’histoire locale. En parallèle, les élèves travailleront sur une revue en ligne qui sera publiée sur le site du lycée, rendant leurs travaux accessibles à un public plus large.

Les élèves, lors d’un exercice réalisé mardi matin, ont exprimé leur enthousiasme pour ce projet, le considérant comme une opportunité précieuse pour mieux connaître leur ville et établir un dialogue avec des personnes ayant vécu des expériences significatives. La présence de Lucile Bordes a également été très appréciée, notamment en raison de son engagement et de son expérience. Son roman « 86, année blanche », publié pour les trente ans de la catastrophe de Tchernobyl, illustre sa capacité à croiser différents points de vue sur des événements tragiques, ce qui enrichit le projet en apportant une perspective littéraire et humaine.

Lucile Bordes : enquête de terrain: « La tragédie locale a occulté tout le reste ».

Lucile Bordes, dans son roman « 86, année blanche » publié en 2016 aux éditions Liana Levi, explore les répercussions de la catastrophe de Tchernobyl à travers le prisme de trois femmes vivant dans des contextes très différents : l’une dans le sud de la France, l’autre en Ukraine, et la dernière dans l’URSS de l’époque. Son approche littéraire se distingue par sa volonté de capturer les émotions et les ressentis des personnes touchées par cet événement tragique, plutôt que de relater des faits de manière journalistique.

L’autrice souligne l’importance de la recherche et de l’enquête dans son processus créatif. Pendant deux ans, elle a mené des interviews et recueilli des témoignages, y compris ceux de personnes ukrainiennes, afin de nourrir son récit de « matière brute ». Son propre souvenir de la catastrophe, marquant son adolescence, l’a poussée à s’interroger sur la mémoire collective de cet événement, notamment à La Seyne-sur-Mer, où elle a constaté une étrange amnésie collective.

Bordes note que, malgré l’impact significatif de Tchernobyl, les habitants de La Seyne-sur-Mer semblaient avoir occulté cet événement. Elle raconte : Lorsque j’ai commencé à demander aux gens de La Seyne-sur-Mer quels étaient leurs souvenirs, je n’ai eu aucune réponse. C’est comme si l’accident nucléaire n’avait eu aucune réalité ici. Personne ne se souvenait de rien. C’était très étrange, mais j’ai fini par comprendre. 1986, c’est aussi l’année où la société des chantiers navals a déposé le bilan. Ici, on vivait un véritable cataclysme. Si bien, que ce qui a été vécu comme une catastrophe en local a occulté complètement le reste des souvenirs des habitants de la Seyne. »

« À 15 ans, les chantiers m’ont effrayé »

Régis Bouisson est un fils d’agriculteur. À l’âge de 15 ans, il en a assez de l’école et dit à ses parents vouloir commencer sa vie professionnelle. Il a donc deux possibilités : travailler la terre comme ses aînés ou pousser la porte des chantiers navals. Le jeune homme commence alors une formation pour devenir chaudronnier, tuyauteur. Et le premier jour, il se dit effrayé.

Il raconte : « Pour un gamin qui a grandi dans les champs, les chantiers étaient très déstabilisants. Tout était très grand et il y avait beaucoup de bruit et des étincelles partout. J’étais effrayé. Les anciens que je croisais étaient carbonisés. À l’époque, on quittait son poste vers 68 ans, et quand on partait en retraite, on était au bout. Je me souviens qu’ils boitaient, la couleur de leur peau était différente, les doigts étaient gros, ils peinaient à s’asseoir, ils avaient de l’arthrose de partout. J’ai passé toute la matinée à imaginer une évasion. Je me disais à 12h, je sors, je prends le bus, je rentre à la maison et personne ne me reverra plus. J’ai finalement eu le courage de poursuivre et je n’ai pas regretté cette expérience même si j’ai fini par quitter mon poste avant le dépôt de bilan en 1986 et la fermeture l’année suivante. Psychologiquement, j’ai craqué. »

« Il y avait énormément de solidarité »

Jean-Paul Guisti, contrôleur aux chantiers navals, évoque avec nostalgie et respect la dureté du travail des ouvriers et la solidarité qui régnait parmi eux. Il souligne que les tensions n’émergeaient que lors des promotions, un reflet de la jalousie humaine, mais que, dans l’ensemble, l’entraide était la norme. Il décrit les conditions de travail difficiles, en particulier pour les travailleurs étrangers, souvent embauchés à la journée.

Jean-Paul se souvient des treize décès survenus durant sa carrière, et de la manière dont la communauté réagissait à ces tragédies : des collectes étaient organisées pour soutenir les veuves et les enfants des défunts. Il mentionne également une politique de l’entreprise qui permettait aux veuves de demander un emploi, souvent à l’atelier de couture, pour subvenir à leurs besoins.

En parlant des femmes dans le milieu du travail, il souligne qu’à son époque, elles étaient principalement cantonnées à des rôles dans la couture ou dans les bureaux. Cependant, il reconnaît leur contribution significative pendant les deux guerres mondiales, lorsque les hommes étaient mobilisés et que les femmes prenaient leur place dans les usines. Cette période a marqué un tournant dans l’histoire des chantiers, mettant en lumière le rôle essentiel des femmes dans l’industrie.

 

 

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Ce projet consiste en la création d’un podcast, où les élèves auront l’occasion d’interviewer des anciens des chantiers navals, membres du Centre de Ressources sur la Construction Navale. À travers un jeu de questions journalistiques, ils pourront recueillir des témoignages et des récits de vie, enrichissant ainsi leur compréhension de l’histoire locale. En parallèle, les élèves travailleront sur une revue en ligne qui sera publiée sur le site du lycée, rendant leurs travaux accessibles à un public plus large.

Les élèves, lors d’un exercice réalisé mardi matin, ont exprimé leur enthousiasme pour ce projet, le considérant comme une opportunité précieuse pour mieux connaître leur ville et établir un dialogue avec des personnes ayant vécu des expériences significatives. La présence de Lucile Bordes a également été très appréciée, notamment en raison de son engagement et de son expérience. Son roman « 86, année blanche », publié pour les trente ans de la catastrophe de Tchernobyl, illustre sa capacité à croiser différents points de vue sur des événements tragiques, ce qui enrichit le projet en apportant une perspective littéraire et humaine.

Lucile Bordes : enquête de terrain: « La tragédie locale a occulté tout le reste ».

Lucile Bordes, dans son roman « 86, année blanche » publié en 2016 aux éditions Liana Levi, explore les répercussions de la catastrophe de Tchernobyl à travers le prisme de trois femmes vivant dans des contextes très différents : l’une dans le sud de la France, l’autre en Ukraine, et la dernière dans l’URSS de l’époque. Son approche littéraire se distingue par sa volonté de capturer les émotions et les ressentis des personnes touchées par cet événement tragique, plutôt que de relater des faits de manière journalistique.

L’autrice souligne l’importance de la recherche et de l’enquête dans son processus créatif. Pendant deux ans, elle a mené des interviews et recueilli des témoignages, y compris ceux de personnes ukrainiennes, afin de nourrir son récit de « matière brute ». Son propre souvenir de la catastrophe, marquant son adolescence, l’a poussée à s’interroger sur la mémoire collective de cet événement, notamment à La Seyne-sur-Mer, où elle a constaté une étrange amnésie collective.

Bordes note que, malgré l’impact significatif de Tchernobyl, les habitants de La Seyne-sur-Mer semblaient avoir occulté cet événement. Elle raconte : Lorsque j’ai commencé à demander aux gens de La Seyne-sur-Mer quels étaient leurs souvenirs, je n’ai eu aucune réponse. C’est comme si l’accident nucléaire n’avait eu aucune réalité ici. Personne ne se souvenait de rien. C’était très étrange, mais j’ai fini par comprendre. 1986, c’est aussi l’année où la société des chantiers navals a déposé le bilan. Ici, on vivait un véritable cataclysme. Si bien, que ce qui a été vécu comme une catastrophe en local a occulté complètement le reste des souvenirs des habitants de la Seyne. »

« À 15 ans, les chantiers m’ont effrayé »

Régis Bouisson est un fils d’agriculteur. À l’âge de 15 ans, il en a assez de l’école et dit à ses parents vouloir commencer sa vie professionnelle. Il a donc deux possibilités : travailler la terre comme ses aînés ou pousser la porte des chantiers navals. Le jeune homme commence alors une formation pour devenir chaudronnier, tuyauteur. Et le premier jour, il se dit effrayé.

Il raconte : « Pour un gamin qui a grandi dans les champs, les chantiers étaient très déstabilisants. Tout était très grand et il y avait beaucoup de bruit et des étincelles partout. J’étais effrayé. Les anciens que je croisais étaient carbonisés. À l’époque, on quittait son poste vers 68 ans, et quand on partait en retraite, on était au bout. Je me souviens qu’ils boitaient, la couleur de leur peau était différente, les doigts étaient gros, ils peinaient à s’asseoir, ils avaient de l’arthrose de partout. J’ai passé toute la matinée à imaginer une évasion. Je me disais à 12h, je sors, je prends le bus, je rentre à la maison et personne ne me reverra plus. J’ai finalement eu le courage de poursuivre et je n’ai pas regretté cette expérience même si j’ai fini par quitter mon poste avant le dépôt de bilan en 1986 et la fermeture l’année suivante. Psychologiquement, j’ai craqué. »

« Il y avait énormément de solidarité »

Jean-Paul Guisti, contrôleur aux chantiers navals, évoque avec nostalgie et respect la dureté du travail des ouvriers et la solidarité qui régnait parmi eux. Il souligne que les tensions n’émergeaient que lors des promotions, un reflet de la jalousie humaine, mais que, dans l’ensemble, l’entraide était la norme. Il décrit les conditions de travail difficiles, en particulier pour les travailleurs étrangers, souvent embauchés à la journée.

Jean-Paul se souvient des treize décès survenus durant sa carrière, et de la manière dont la communauté réagissait à ces tragédies : des collectes étaient organisées pour soutenir les veuves et les enfants des défunts. Il mentionne également une politique de l’entreprise qui permettait aux veuves de demander un emploi, souvent à l’atelier de couture, pour subvenir à leurs besoins.

En parlant des femmes dans le milieu du travail, il souligne qu’à son époque, elles étaient principalement cantonnées à des rôles dans la couture ou dans les bureaux. Cependant, il reconnaît leur contribution significative pendant les deux guerres mondiales, lorsque les hommes étaient mobilisés et que les femmes prenaient leur place dans les usines. Cette période a marqué un tournant dans l’histoire des chantiers, mettant en lumière le rôle essentiel des femmes dans l’industrie.

 

 

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