Ses coups de crayon mettent à nu les blessures intimes de sa famille et de l’histoire. Dans sa besace d’étudiante, Louise Nigoghossian garde précieusement les souvenirs de son grand-père, Nicolas.
Le patriarche de la famille trouve un emploi sur les chantiers navals de La Seyne-sur-Mer où il perd la vie quelques mois plus tard en chutant d’un navire en construction.
Sur ces cahiers qui ont une cinquantaine d’années, l’écriture raconte une vie et les tourments d’une génération déracinée. Il y a près d’un siècle, en pleine première guerre mondiale, les Arméniens de l’Empire Ottoman, l’actuelle Turquie, sont massacrés ou déportés par les autorités. Les ancêtres de Louise sont alors contraints de quitter la terre qui les a vu naître pour immigrer en France. Le patriarche de la famille trouve un emploi sur les chantiers navals de La Seyne-sur-Mer où il perd la vie quelques mois plus tard en chutant d’un navire en construction. Nicolas a seulement trois ans et toute une vie à construire dans un pays dont il ignore tout.
« J’avais le désire secret de travailler un jour sur ses textes. Quand un professeur nous a proposé la diaspora comme thème de réalisation graphique, j’ai su que c’était le moment. »
Louis raconte : « Mon grand-père avait peur de la vie qui s’éteint sans prévenir et de l’oubli. Il souhaitait transmettre son histoire et parlait constamment du devoir de mémoire. Dès qu’un souvenir lui revenait, on le voyait écrire pendant des heures sur ses carnets. J’avais le désire secret de travailler un jour sur ses textes. Quand un professeur nous a proposé la diaspora comme thème de réalisation graphique, j’ai su que c’était le moment. Ouvrir ces cahiers, s’y plonger, c’était à la fois très émouvant et un déstabilisant ». Car il y a la découverte de cet être d’abord qui a vécu avant de devenir grand-père, mais aussi l’exploration d’une époque différente et de ses moeurs qui ne sont plus.
« J’ai été touchée également lorsque j’ai pris connaissance de ses difficultés à apprendre la langue et à trouver se place dans cette nouvelle société. »
Elle explique : « Ce qui m’a troublé particulièrement, c’est peut-être la narration de ses histoires amoureuses contrariées, car pour préserver la culture, il avait pour obligation de se marier avec une femme de sa communauté, alors, si d’aventures, il s’éprenait d’une française, il savait qu’il ne pouvait pas vivre cet amour et en souffrait énormément. J’ai été touchée également lorsque j’ai pris connaissance de ses difficultés à apprendre la langue et à trouver se place dans cette nouvelle société. »
« Cette façon de vivre devrait être traumatisante car il a fini par devenir mutique pendant son adolescence ».
Car le jeune Nicolas était un enfant écartelé. A la maison, il avait pour obligation de parler l’arménien, alors qu’à l’école les autres enfants comprenaient mal les mots qui sortaient de sa bouche en français. Louise termine : « Cette façon de vivre devrait être traumatisante car il a fini par devenir mutique pendant son adolescence ».
« J’espère qu’un jour je ne retranscrirai toutes ses pensées dans un ouvrage. »
Puisque ce projet est né d’un exercice scolaire, Louise a du accepter certaines contraintes et ne livrer que cinq planches en bande dessinées des journaux intimes de son grand-père. Elle termine : « J’espère qu’un jour je ne retranscrirai toutes ses pensées dans un ouvrage. les carnets de mon grand-père sont dans le foyer depuis la fin des années 70 mais mon père et son frère ne parviennent pas à les lires. Ils ressentent trop de tristesse ».