Jean Tukorio, ce six-fournais de soixante-quatre ans est un Paumotu de naissance. Il est venu au monde dans l’archipel des Tuamotu en Polynésie Française, sur un atoll ovale de 15 km de longueur et de 9 km de largeur.
« Je n’ai pas honte de dire que je suis né à l’état sauvage, explique l’homme dans un rire. Chaque matin avec mon père, on partait en pirogue afin d’aller chasser la nourriture du jour pour le reste de la famille. Tous les jours, on prenait une dizaine de poissons qu’on mangeait aussi bien le matin, le midi que le soir. On avait avec ça, quelques coquillages et du pain tahitien, « le Ipo », qui était en réalité des boulettes de farine mélangées à du lait de coco qu’on cuisait à la vapeur dans des feuilles de bananiers. »
À cette époque, les peuples migraient d’une terre à l’autre au grès des saisons afin de chasser, cueillir ou même récolter de la nacre. À l’âge de six ans, il déménage sur l’atoll de Hao où les européens arrivent dans le même temps, puisqu’en 1962, quelques mois à la suite du référendum d’autodétermination d’Algérie, la France créée et installe le Centre d’expérimentations du Pacifique dans les archipels, ce qui amène plusieurs milliers de militaires et de techniciens.
Les essais nucléaires commencent en 1966. « On se doutait que ce n’était pas quelque chose de bon, acquiesce l’ancien militaire, mais personne n’imaginait à quel point. Pour ma part, j’étais un enfant à l’époque, et ce que je retiens surtout c’est l’éducation, l’enseignement et les premiers jours à l’école. J’ai appris la langue française sans mal. Une de mes grandes découvertes aussi : le cinéma en plein air! C’était fascinant ! Tout ce qui passait à l’écran était dépaysant. J’ai compris très tôt que mon envie plus tard serait d’aller découvrir ce qu’il y avait par delà les flots et les frontières », poursuit-il.
« Le jour le plus long » a probablement changé ma vie, reprend Jean, les polynésiens sont des peuples guerriers avec beaucoup d’honneur et de fierté. Les récits des aînés qui traitent de la guerre entre tribus n’étaient pas rare. Mais j’ai découvert avec ce film, que la guerre était aussi un moyen de sauver des peuples en souffrance. »
Quelques années plus loin, il devance son service militaire. Pris de passion pour l’armée, il décide de s’engager au revenir dans la légion étrangère. Les formations intenses débutent, mais rien n’effraie celui qui rêve de combattre pour la liberté, comme ses frères d’armes de 1942, les surnommés les « Tamari’i volontaires » à savoir les enfants (en tahitiens ndrl) volontaires qui ont permis le débarquement de Provence à Cavalaire.
« Arrivé en France, il a fallu faire avec l’immensité du territoire qui donnait le tournis, le froid … et les Rangers ! confie l’homme dans un fou rire. « J’ai vécu sur une terre où il n’y avait pas de route, je passais mes journées dans l’eau, je n’ai connu les chaussures que très tard. Mes pieds étaient palmés et beaucoup plus larges que la moyenne. Pendant les entrainements, quand nous partions en montagne, nous les polynésiens, ont marché toujours pieds-nus dans la neige. Le froid valait mieux que la douleur des Rangers! » Après les formations et les entrainements physiques, Jean devait encore prouver qu’il pouvait devenir parachutiste, puisque son ambition était de rentrer au deuxième régiment étranger de parachutistes. « J’étais attiré par le vide, j’ai sauté sans encombre et obtenu mon graal, mais j’ai vu des hommes s’accroupir avant de se jeter de l’avion pour gagner quelques centimètres de hauteur avant le plongeon. »
Une vie pour écrire l’Histoire
Jean Tukorio a le rire facile et certaines de ses phrases sont ponctuées par le vocabulaire des îles, c’est peut-être aussi un peu pour cette raison que ses amis disent de lui qu’il « rayonne comme un soleil ». Pourtant, l’homme à la personnalité chaleureuse a assisté à de nombreux drames humaines de part sa vocation. Pour sa première mission à seulement vingt-deux ans, il participe à « l’opération Bonnite » où il saute sur Kolwezi pour délivrer des otages européens retenus prisonniers par des rebelles Katangais. Il sert aussi à Djibouti au Tchad, en Centrafrique et fait parti de ceux qui partent à la recherche de Philippe de Dieuleveut sur le fleuve du Zaïre. En 1991, il est envoyé en Irak pour participer à l’opération « Daguet »(Plus connu du grand public sous le nom de Tempête du Desert NDRL) qui lui vaudra une citation. Après avoir participé à la guerre du golfe en 1992, il prend sa retraite militaire et construit sa vie de famille avec Nicole, « l’amour de sa vie » , divorcée, mère de Éric et Christophe, avec qui il aura Jean-Baptiste. Aujourd’hui, cet heureux grand-père, ne manque jamais une occasion de commémorer la mémoire des disparus, lors des cérémonies patriotiques de la ville de Six-Fours.