À 67ans, Jean Tukorio, habitant de Six-Fours-les-Plages, incarne à lui seul une vie extraordinaire. Né sur un atoll reculé de l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, il a grandi dans un univers fait de traditions, d’eau salée et de pêche quotidienne.
« Je n’ai pas honte de dire que je suis né à l’état sauvage », lance-t-il en riant.
Chaque matin, il partait en pirogue avec son père pour pêcher de quoi nourrir la famille. « Une dizaine de poissons par jour », accompagnés de coquillages et de ‘ipo’, un pain tahitien à base de farine et de lait de coco, cuit dans des feuilles de bananier.
À l’époque, les populations migrent d’un atoll à un autre, selon les saisons, pour cueillir, chasser ou récolter de la nacre. À six ans, Jean s’installe sur l’atoll de Hao. C’est aussi le moment où la France installe le Centre d’expérimentations du Pacifique en 1962, entraînant l’arrivée de milliers de militaires et techniciens.
« On se doutait que ce n’était pas bon, mais on ne mesurait pas encore les conséquences. »
Ce qu’il retient de cette époque ? L’école, la langue française… et le cinéma en plein air. « C’était magique ! Tout me paraissait étranger et fascinant. C’est là que j’ai compris que je voulais découvrir le monde au-delà des océans. »
Le déclic : Le jour le plus long
Toujours fidèle à ses engagements, Jean Tukorio ne manque jamais une cérémonie patriotique. Un film va profondément le marquer : Le jour le plus long.
« Ce film a changé ma vie. Chez nous, les Polynésiens sont des guerriers, fiers. On parlait souvent des guerres tribales. Mais là, j’ai compris que la guerre pouvait aussi servir à libérer des peuples opprimés. »
Animé par cette vocation, Jean devance son service militaire et s’engage dans la Légion étrangère, rêvant de rejoindre les Tamari’i volontaires, ces jeunes Tahitiens qui ont participé au débarquement de Provence en 1944.
« Le froid… les Rangers… Quelle découverte ! » s’amuse-t-il.
Né pieds nus, élevé sur une terre sans route, Jean découvre la neige et la douleur des chaussures militaires. « On marchait pieds nus dans la neige pendant les entraînements. Le froid faisait moins mal que les Rangers ! »

Un parcours de légionnaire d’exception
Il intègre le 2e Régiment étranger de parachutistes, attiré par le saut dans le vide.
« J’ai obtenu mon brevet de parachutiste, mais j’ai vu des hommes s’accroupir avant de sauter, pour grappiller quelques centimètres de hauteur ! »
Jean devient chef de station radio et participe à plusieurs opérations militaires majeures. À 22 ans, il saute sur Kolwezi, lors de l’opération Bonnite, pour libérer des otages européens. Il est ensuite envoyé à Djibouti, au Tchad, en Centrafrique, et participe à la mission de recherche de Philippe de Dieuleveult sur le fleuve Zaïre.
En 1991, il est déployé en Irak dans le cadre de l’opération Daguet (plus connue sous le nom de Tempête du désert), ce qui lui vaudra une citation.
Une retraite paisible et engagée
En 1992, Jean quitte l’armée et entame une nouvelle vie de famille. Aujourd’hui, Jean Tukorio est un grand-père comblé, toujours présent lors des commémorations patriotiques à Six-Fours, où il honore la mémoire des disparus avec le même engagement que lorsqu’il servait sous l’uniforme.