C’est un rituel au Brusc. Deux soirées d’été, un écran tendu entre ciel et mer, et la voix d’André Mercheyer qui, l’espace d’un soir, devient passeur d’histoires. Le 28 août à 21 h, sur le quai de la prud’homie, il reviendra partager ce qu’il collectionne depuis des décennies : des images, des récits, des éclats de mémoire qui font de ce port un territoire habité par les légendes.
Une enfance dans un port d’histoires :
Lorsqu’il arrive au Brusc à l’âge de 7 ans, André découvre un monde où les mots circulent comme le vent. Dans les bars du port, véritables places publiques provençales, les histoires se disent, se grossissent, se transmettent. Le réel s’y mêle à la légende.
Au fil des années, il note ces récits dans un carnet devenu trésor de mémoire. On y croise ce chasseur obstiné qui, des semaines durant, vide deux cartouches chaque matin sur la même bécasse. Un jour, enfin, elle tombe. Criblée de plomb, si lourde qu’elle est immangeable. La rumeur raconte qu’elle pesait 36 kilos et qu’on l’a vendue… à un ferrailleur.
Ou ce pêcheur, persuadé qu’un voleur dérobait ses plus belles figues. Jusqu’au matin où il surprend, entre deux gorgées de blanc frais, un poulpe accroché à son figuier, se délectant des fruits mûrs. Scène invraisemblable, mais au Brusc, qui oserait jurer qu’elle est fausse ?
Et puis, il y a l’hiver 1956, le plus rude que connut la Provence. Cette année-là, la lagune du Brusc gela entièrement. Les canards, figés sur place, furent « récoltés » à la faucille comme des épis de blé. Des images qui, entre rires et frissons, disent à la fois la dureté et l’inventivité d’un monde révolu.
Des images qui parlent :

Sa collection compte plus de 2 000 cartes postales et photographies anciennes, chinées entre Provence, Suisse, Espagne et Italie. Mais au-delà des clichés, ce sont les paroles qui l’animent. Car si André chine les images, il collectionne surtout les voix. Celles qu’il capte dans les cafés de l’aube, sur les marchés ou au détour d’une rue.
L’an passé, le public découvrait les visages d’ouvriers, de pêcheurs, de familles réunies un dimanche. Derrière chaque image, une histoire. Comme celle de ces quatre requins pêchés dans la baie du Brusc au siècle dernier : « On posait pour la photo, puis un camion venait chercher la bête. Le foie servait à fabriquer des cosmétiques. Rien ne se perdait », raconte André.

Parfois, l’émotion surgit. Une femme reconnaît l’usine des tuileries où elle travailla jadis avec son mari disparu. Elle évoque les cadences infernales, les brouettes renversées pour permettre à l’un ou l’autre de souffler, le vacarme des fours. « Quelle époque… » souffle-t-elle.
Pour André, il ne s’agit pas d’idéaliser le passé. « Je ne suis pas passéiste. Il y a eu du pire et du meilleur. Mais ces récits, il faut les transmettre. Pas pour les glorifier, mais pour qu’ils ne s’effacent pas. »
La mémoire vivante du Brusc
Ainsi va la fabrique de légendes. Chaque été, entre ciel et mer, André Mercheyer déroule ce fil fragile entre passé et présent. Des cartes postales aux confidences, des photos jaunies aux récits enjolivés, il offre au Brusc bien plus qu’une projection : une mémoire vivante, partagée, ouverte à tous.
Le 28 août, sur le quai de la prud’homie, les spectateurs n’assisteront pas seulement à une projection. Ils entreront dans un voyage, là où les souvenirs se transforment en contes, et où la réalité, parfois, est plus incroyable encore que la fiction.