« Il faut être vraiment con pour penser qu’un agriculteur qui se casse le dos sous le dur soleil du mois de juin pour arracher des racines, le fait dans le but de céder son terrain. » Ce franc-parler à toutes épreuves est celui d’Alain Roze, gérant du domaine de la Mourrette au Brusc pour Lucien Bremond, propriétaire des terres à la retraite.
Un grand complexe immobilier à la place d’une exploitation agricole vieille d’un siècle ? »
Les raisons de ces propos ? En début de semaine, Alain Roze avait vu apparaître sur les réseaux sociaux, une photo des champs qu’il venait de labourer avec une mention: « En voilà encore un qui a cédé aux sirènes des grands groupes immobiliers. »
Plusieurs jours après la parution de cette photo, l’homme en fulmine encore : « Les gens veulent du local, et lorsqu’on fait, ils saccagent notre travail sans raison. J’ai des touristes qui viennent chaque année du nord de la France, pour notre vin et notre huile d’olive. Ils m’ont demandé ce matin, sur le ton de l’humour évidemment, s’ils pouvaient réserver une villa. C’est dire comme les rumeurs vont vites. Elles ont traversé la France en un clic avec internet ! »
« On voulait une gamme tricolore »
À l’origine de cette « mauvaise farce », une idée pourtant pleine de bon sens : planter de nouvelles vignes afin de proposer à la clientèle, en plus du rosé et du rouge A.O.P côtes de Provence, du blanc. « On voulait une gamme tricolore, poursuit Alain, nous avons donc arraché les vieilles vignes pour labourer la terre et la préparer. L’année prochaine nous nous occuperons des nouvelles plantations afin que trois ans plus tard, nous puissions récolter du vin blanc issu de ce labeur. Ce qui connaissent le travail de la terre ont tout de suite vu que celle-ci était retournée et donc travaillée. Mais il n’empêche qu’un petit malin est venu jusque chez nous pour prendre une photo à la volée. »
« Et que fait la mairie ? »
Pour rappel, le domaine de la Mourrette est une parcelle de terre classée en secteur A dans le Plan Local d’Urbanisme de la ville (PLU), cela signifie que sur place, aucune construction ne doit porter atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. De ce fait, seules les installations nécessaires à l’exploitation agricole y sont tolérées. Alain s’en donne donc à coeur joie : « Mais que fait la mairie si nous avons cédé nos terres pour des villas et des immeubles ? N’a-t-elle pas en plus un droit de préemption? C’est d’une bêtise sans nom. Je vais vous dire une chose, cette année n’est pas simple avec les inflations et la crise énergétique. Le vin passe en dernier en dans la liste de course. Les bouteilles qui se vendaient par carton les autres années partent à présent par deux ou trois. Venez nous rencontrer et acheter local. Moi je vous attend. » Et ceci n’est pas une menace mais une invitation cordiale.
559 Chem. de Mouret. Tel : 07 84 43 85 75 Ouvert mardi 10h-12h, jeudi 18h-20h, samedi 9h-12h
« Plusieurs générations se sont sacrifiées pour cette terre »
Il n’est par rare de trouver Lucien Brémond, cet ancien professeur des sciences de la vie et de la terre à sa table de jardin, muni d’une pince, en train de récolter les pépins d’un fruit dont il vient d’apprécier le goût. « Il ne suffit pas de planter une graine pour qu’elle pousse et donne de bonnes choses, explique l’homme, il y a tout un travail en amont. Il faut trouver la perle rare, lui permettre de se stabiliser. C’est un métier de passion. »
Si l’homme si connait tant, c’est parce que l’exploitation agricole du domaine de la Mourrette est le fait de sa famille depuis le début du siècle dernier.
À l’époque, les cinq hectares qui sont recouverts de vignes aujourd’hui, donnaient des fleurs qui étaient récoltées et envoyées pour être vendues en Angleterre, en Allemagne et même à Paris. Entretenir la vie dans les terres, aussi loin qu’il s’en souvienne, n’a jamais été chose facile. « Des générations se sont sacrifiées pour cette exploitation, j’ai vu mon père et mon grand-père travailler parfois jusqu’à l’épuisement. Et puis il fallait avoir le coeur sacrément bien accroché. En 1956, en une nuit, un grand froid s’est abattu sur la ville. Toutes les récoltes avaient alors gelées, il n’y avait plus rien à sauver. Il a fallu repartir de zéro. C’était une catastrophe pour mes parents. Mon père a alors décidé de planter des oeillets et des fleurs d’été. Quand ma soeur a repris l’exploitation, elle s’est tournée vers les légumes. Aujourd’hui, ce qui fonctionne le mieux pour nous, c’est le vin et l’huile d’olive. Les agriculteurs se doivent de suivre l’évolution de la société et des modes de consommation pour survivre. »